Chiffre : avant tout, un fait social !

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Statistiques publiques, chiffres évaluatifs, indicateurs chiffrés régissent-ils nos vies, nos sociétés et notre avenir ? Peut-on valablement s’en passer ? Mais surtout, n’est-il pas temps d’en débattre, d’en reprendre le contrôle, et peut-être d’en proposer de nouveaux ?

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© Christian Zachariasen/AltoPress/Maxppp

Que compte-t-on ? Selon quelles conventions ? Avec quelles catégories ? Pour quoi faire ? Pour quel pouvoir ? Que ne compte-t-on pas ? Qui définit ce qui compte et qui ne compte pas? Autant d’interrogations dont il faut se ressaisir puisqu’elles constituent des questions fondamentales de la vie des sociétés, notamment dans des régimes démocratiques.”

Olivier Martin est sociologue et statisticien. Il est professeur à l’Université Paris Cité et directeur du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis). Il conduit des recherches sur les rôles et les places des chiffres dans nos sociétés depuis plusieurs années. Il publie aux éditions Anamosa, dans la très estimée collection Le mot est faible, Chiffre.

L’omniprésence des chiffres dans nos sociétés modernes ne disent-ils pas leur omnipotence ? 

L’importance donnée aux chiffres nourrit l’idée que le monde est calculable et que, dès lors, nous pouvons nous en rendre maîtres, par la mesure, la quantification et le calcul”. […] “Nous ne sommes pas loin de l’idée que l’ordre de la nature (ou l’ordre divin) serait écrit dans le langage des chiffres et dans la langue mathématique.”

Dans cet essai passionnant, Olivier Martin dit combien est grande la place qu’occupent les chiffres en ce début de XXIème siècle dans nos sociétés technologiques. Il démystifie/démythifie l’importance que l’on donne à certains d’entre eux -PIB, chiffres du chômage, ou bien encore les sacro-saints 3% de dette publique à ne pas dépasser-. Presque anodin tant il est partout, depuis nos gestes les plus quotidiens -faire ses comptes- jusqu’aux mesures les plus savantes -celle du temps, par exemple-, “Chiffre” est-il devenu “l’alpha et l’oméga” de notre monde ?

S’il n’est pas pensable, ni même souhaitable et encore moins possible, de s’en passer, il est nécessaire de ne pas s’y soumettre. Si “l’existence d’une convention est une nécessité sociale”, alors il faut que tout un chacun se mêle de compter. 

Fruit de l’activité humaine, les chiffres expriment et matérialisent nos choix, nos valeurs, nos conventions : ce sont des objets sociaux et humains.

Donc chiffrer, dénombrer, quantifier, c’est détenir les moyens d’orienter les choix de société. C’est ne pas laisser dans quelques mains ces outils pour construire le monde, c’est se réapproprier le présent et l’avenir. Alors, compter toujours, mais compter autrement pour faire pièce à “cette vérité des chiffres”, et renverser les idoles.


Terrain Social, avec le sociologue et statisticien Olivier Martin, interroge les formes et les usages d’un mot -chiffre-, et “(dé)chiffre pour retrouver le politique”.

Hugues Chevarin

Dans l’interview :

Évocation des chiffres du chômage et leur maniement sous le quinquennat de François Hollande : “Inverser la courbe du chômage, c’est la promesse sur laquelle François Hollande avait demandé à être jugé à la fin de son mandat.” Les Décodeurs – Le Monde, le 27 avril 2017.

Olivier Martin fait référence au Collectif Féminicides par compagnons ou ex.

Poursuivre la réflexion : 

L’Empire des chiffres. Une sociologie de la quantification, Olivier Martin, Armand Colin, 2020

La vérité du chiffre, Monique Hirschhorn, revue en ligne The Conversation.

Une association Pénombre, espace de réflexions et d’échanges sur l’usage du nombre dans le débat public.

Dans la série, Les mondes de la santé publique, le 2ème épisode : Vérité du chiffre, Didier Fassin , un podcast France Culture?

Data Science, A l’épreuve des chiffres, une série d’Arte TV

Un épisode de Terrain Social : Pour l’égalité au travail : savoir compter ! – Sophie Pochic