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Comment concilier le temps long des politiques de rénovation urbaine aux réalités des vies quotidiennes ? Quelle place est faite à la concertation dans la mise en œuvre de ces projets ? Existe-t-il des pratiques de disqualification, de stigmatisation des habitants de ces quartiers pour “contrer” leur mobilisation ?

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©PHOTOPQR/VOIX DU NORD/Thierry THOREL – Le quartier de la Bourgogne à Tourcoing continue sa mutation avec la démolition de certain appartements, le 5 décembre 2020.

L’histoire longue de la rénovation urbaine nous apprend que le pouvoir s’est toujours appuyé sur une vision dépréciative des populations afin de faciliter l’acceptation des projets urbains”. (Delfini, Talpin,Vulbeau)

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Le 1er août 2003, Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la Ville, fait voter une loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Vient de naître l’ANRU, Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, elle finance et accompagne la transformation de quartiers de la Politique de la Ville.

Dans le magazine de l’ANRU, En villes, l’architecte Rudy Riciotti, créateur du Mucem à Marseille, et qui a également conçu le nouveau siège de l’Anru déclare : “la création de l’Anru est l’une des idées les plus intelligentes que l’Etat ait faite en matière de gestion et d’aménagement du territoire” ! (N° 5, janvier 2022)

Voilà une affirmation que ne partageraient peut-être pas les chercheurs Antonio Delfini, Julien Talpin et, en particulier, Janoé Vulbeau, dans un ouvrage collectif qu’ils ont co-dirigé Démobiliser les quartiers, Enquêtes sur les pratiques de gouvernement en milieu populaire”, aux Presses Universitaires du Septentrion, paru en Septembre 2021.

Janoé Vulbeau est docteur en histoire et sciences politiques, il travaille pour le CERAPS (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales) de l’Université de Lille, du CNRS et de Sciences Po Lille.

Dans sa contribution, “Stigmatisation sociospatiale et démobilisation des mouvements d’habitant.e.s dans les projets de rénovation urbaine”, Janoé Vulbeau analyse les usages de la parole experte, celle des technicien.e.s de l’ANRU, comme élément démobilisateur lors des concertations qui accompagnent la mise en oeuvre de ces projets.

Au centre du discours des élu.e.s et des technicien.ne.s, “la force du paradigme de mixité sociale rend difficile les mobilisations autour de la rénovation urbaine. Celle-ci est ainsi devenue progressivement une norme, considérés par les décideuses et décideurs urbains comme positive, bien que jamais clairement explicitée.”.

L’enquête de terrain montre les difficultés auxquelles sont confronté.e.s les habitant.e.s de ces quartiers populaires pour faire entendre leur voix, tout à la fois auprès des élu.e.s, mais aussi des opérateurs techniques – l’Anru, par exemple.Cette “voix des “acteurs faibles” est souvent peu entendue dans ces projets urbains”.

Au sein de ces concertations, l’argument -”quartier stigmatisé” (“comme lecture univoque des quartiers populaires »)- est opposé de façon récurrente aux mobilisations des habitants pour légitimer la nécessaire rénovation urbaine de leurs quartiers.

Cette “notion de stigmate est utilisée de manière instrumentale comme argument d’autorité ne souffrant d’aucune contestation.”

Sans pour autant accuser l’Anru de mettre sur pied des stratégies pour faire pièce à ces mobilisations, la parole surplombante des expert.e.s vient bousculer une « légitimité ordinaire [des habitants] à se maintenir dans les lieux.”.

Terrain Social, cette semaine, analyse, avec Janoé Vulbeau, ces pratiques de gouvernement en milieu populaire – celle de la stigmatisation sociospatiale- en s’appuyant sur le cas particulier de l’ANRU.

Hugues Chevarin

Citations sonores dans l’interview :

Documentaire réalisé dans le quartier du Pile à Roubaix :

Références citées :

Pour une réforme radicale de la politique de la ville (rapport Mechmache-Bacqué, juillet 2013)

Collectif Pas sans nous

Poursuivre la réflexion :

Julien Talpin, Bâillonner les quartiers. Comment le pouvoir réprime les mobilisations populaires.

Mais aussi le podcast Contre-pouvoirs habitants en Métropole 

« Les classes populaires fabriquent la ville. » Entretien avec le Collectif Rosa Bonheur – Antonio Delfini

Pour être complet, l’Anru :

L’ANRU, c’est quoi ? Missions et chiffres clés (communication de l’Anru) :

Retrouvez, ici,  le propos d’Anne-Claire Mialot, Directrice générale de l’ANRU depuis le 15 décembre 2021.

Entretien donné par l’architecte Rudy Ricciotti au magazine de l’Anru, En Villes n° 5.

Une notion : Quartier prioritaire de la politique de la ville