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Une semaine spéciale sur Le Chantier, autour du jeune label indépendant Tadam Records. Voici un label foncièrement rock dans l’âme, mais aussi porté par des valeurs fortes autour de l’écologie, de l’égalité et de la coopération : une aventure collective née au cœur du premier confinement, une réponse volontaire et résiliente teintée d’indépendance et de militantisme.

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SheWolf : © Céline Salin
L’Ambulancier : © Lady Cylew
Captain Obvious : © Charles Tumiotto

Alors que le label a déjà mis en orbite les EPs de L’Ambulancier et de Captain Obvious depuis le début de l’année, cette semaine sera marquée par la sortie de l’album du trio SheWolf, le très énergique et bouillonnant Parasite.

Une belle occasion de revenir sur la singularité de ces musiciens et musiciennes ayant participé activement au lancement de ce label coopératif, mais aussi de mettre en lumière leurs disques respectifs, symboles de la vitalité de la scène rock indépendante en France, aussi multiple que volontaire mais qui ne doit compter que sur elle-même dans une période complexe et instable que connaît la musique, d’ailleurs bien au-delà des effets de la simple crise sanitaire. Nous pouvons penser par exemple à la question centrale et très actuelle de la (juste) rémunération des artistes, à l’ère de l’explosion du streaming. La dimension égalitaire et féministe du label est aussi très présente, une manière de bouleverser certains codes du rock, dont l’imaginaire a souvent véhiculé des positions machistes et des usages sexistes depuis très longtemps. À ce titre Yann Landry, le label manager de Tadam Records évoque un exemple frappant pour dénoncer cette vision masculine du rock a souvent réduit les femmes à leurs physiques, quand bien même que les musiciennes aient du talent, de la force créative, de la musicalité et de l’engagement au même titre que leurs alter-égos masculins.

« Dans l’histoire du rock, les femmes ont surtout été des faire-valoir « sexy ». Je lisais encore hier une publication d’un journaliste, qui parlait de Patti Smith. Il disait en substance, elle n’a jamais été très belle, mais elle avait quelque chose de sexy. Je trouve ça impardonnable ce genre de discours. Patti Smith, c’est des textes, de la poésie, une présence, de l’intensité. Et là, on la réduit à une image. Alors effectivement, Patti Smith ne se rasait pas les poils de jambes et alors ? Est-ce qu’on va à un concert de rock pour regarder les jambes des musiciennes ? C’est toujours ce vieux débat sexiste. On parle toujours des merveilleux solos des guitaristes, du jeu de batterie de John Bonham (Led Zeppelin) mais par contre du sex-appeal de Debbie Harry (Blondie) : on ne va pas parler de sa voix ou de ce qu’elle apporte musicalement. Et ça, c’est un combat qui est long et qui sera encore long. Mais ça commence à venir, il y a des associations qui œuvrent sur le sujet, notamment l’association Change de disque, dont je fais aussi partie. Avec cette association, par exemple, nous sommes en train de développer des outils à destination des hommes et des femmes du milieu, pour faire évoluer les mentalités. Mais ce combat peut prendre des décennies. Mais avec ce qui s’est passé autour du mouvement #MusicToo, il y a un bon élan pour que les choses changent. »

Au sein de Tadam Records, cette volonté se concrétise notamment dans une organisation égalitaire qui donne à chacun, chacune, un pouvoir de décision effectif et partagé au-delà du genre mais aussi du statut. Ainsi, Yann Landry aime à rappeler que même s’il est le label manager du label, il n’en est certainement pas le PDG, et que ce n’est pas lui qui décidera des groupes qui pourront intégrer le label, mais bien le conseil d’administration, composé notamment des membres des cinq groupes maison SheWolf, Captain Obvious, L’Ambulancier, Steve Amber et Shoefiti.

Mais au-delà de ces aspects militants fédérateurs, c’est aussi et surtout une belle idée du rock qui réunit les groupes, les acteurs et actrices de ce label, à l’image de SheWolf, trio décomplexé, actif et engagé, structuré autour d’Alice Adjutor, de Fanny Amand et de MC Martine. À la question de savoir justement ce que le rock leur apporte dans leur vie (question visiblement pas si évidente pour elles), elles répondent ainsi ensemble :

« (MC Martine)
… À un besoin de s’exprimer avec cette énergie-là. Je pense que SheWolf a une énergie qui peut être… violente ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, très brute. Le rock est un super moyen d’exprimer tout ce qu’on a en nous, cela peut-être de la rage, des injustices, des choses belles aussi. Nous, on a choisi de l’exprimer par le rock, d’autres, cela va être le jazz, la pop. Pourquoi ? Je ne sais pas, c’est une question de sensibilité, mais on retrouve des choses dans le rock, qu’on ne trouverait pas dans d’autres styles de musique…

(Alice Adjutor)
Pour moi, le rock c’est aussi la liberté d’exprimer des émotions qu’on ne se permet pas d’exprimer dans la vie de tous les jours. Déverser certaines émotions sur les gens de manière totalement libre, n’est pas ce qu’il y a de plus moral à faire… Mais aussi pour ma liberté, par exemple, j’étais plutôt destinée à un parcours plus académique, mes parents voulaient que je fasse de grandes études parce que j’étais bonne élève, mais avoir finalement choisi de faire ce que j’ai envie de faire au fond de moi depuis que j’ai 12 ans, c’est la liberté. Cela n’appartient qu’à moi. »

Pour Joseph, qui forme avec son frère Angus le duo Captain Obvious, il y a quelque chose de très spontané et de très naturel à s’exprimer à travers le rock, même si celui-ci a désormais l’âge d’un grand père :

« C’est vrai qu’aujourd’hui, le rock ça fait un peu vieillot, cela fait longtemps qu’il est là, il commence un peu à disparaître, mais quand on cherche vraiment, il y a encore énormément de groupes qui font du rock en France, il est toujours porteur d’un vrai message de rébellion. »

Pour Palem Candillier alias L’Ambulancier, sa nouvelle entité plus personnelle dans laquelle il se réinvente aujourd’hui, il y a un vrai challenge à oser le rock en français autant qu’un plaisir jouissif et ludique :

« L’erreur serait de penser, que pour le rock, il faudrait chanter en français comme on chanterait d’habitude. Je crois qu’il faut jouer sur les sonorités, sur les mots qui claquent, sur les expressions qui font mouche, sur les petites phrases musicales. Si on veut mettre de la chanson à texte dans le rock, bien sûr qu’on y arrivera pas. La chanson à texte, c’est de la chanson à texte. Par contre, si on voit la langue française comme un truc un peu alien, qu’on s’amuse avec, qu’on a pas trop de scrupules à la maltraiter, là on peut en faire un truc rock, là j’y crois ! »

Cette semaine spéciale coïncide non sans hasard avec la sortie de l’album de SheWolf, Parasite, un album intense et teigneux, qui impressionne par son côté tendu et massif comme le morceau d’ouverture The Escape, avec cette batterie martelée, implacable, qui ne nous lâche pas d’une semelle, jusqu’à l’explosion finale.

La formule du trio sied parfaitement à l’esprit électrique libérateur de SheWolf, à travers un engagement de tous les instants qui passe forcément par la frontalité mais sans négliger la nuance. Ainsi, sur ce long format, les sensations pourraient aussi bien évoluer en quelques instants de la puissance évocatrice de Laetitia Shériff à la radicalité dévastatrice et sauvage de Babes in Toyland. Et s’il fallait juste un exemple pour justifier de cette comparaison avec le mythique combo américain, prenez par la face le chant rageur en mode braillante de tous les diables, la caisse claire qui claque méchamment, la basse qui gronde, les accords de guitare qui se déchaînent sur Be Happy Be Productive. Musicalement d’ailleurs, le son semble être volontairement travaillé pour ressortir sale, anguleux et rugueux, au point de rappeler par moments, l’urgence du premier album de Nirvana ou encore les sorties de route les plus punk de Cloud Nothings.

Difficile de ne pas pointer la lente litanie féministe aussi troublante que poétique que provoque Pause Féminin(e) au milieu du disque, mais qui se suffit amplement à elle-même et n’a besoin d’aucune explication, tant les mots utilisés créent leurs propres résonances. Sans aucun doute possible, sur leur deuxième album, les SheWolf ont pleinement activé leur liberté d’être, de faire et de créer, en déversant sans compter un imposant tourbillon d’émotions absolument grisant et sidérant.

Chaque jour de la semaine, découvrez de l’intérieur l’esprit du label Tadam Records sur l’antenne du Chantier, à travers des interviews de Yann Landry, le label manager mais aussi des membres de SheWolf, Captain Obvious et L’Ambulancier.

À l’occasion de la sortie de l’album Parasite de SheWolf, remportez un pack Tadam Records avec toutes les sorties du label depuis le début de l’année. Une seule adresse pour participer : [email protected] !

Laurent Thore