Actus

Le groupe canadien The Acacia Strain a déjà prouvé depuis ses débuts à l’aube des années 2000, sa vaillance, sa passion et sa furie. Il est aujourd’hui une véritable référence mondiale, aussi bien médiatique que musicale, à travers son mélange cohérent, incarné, et très homogène de death implacable, et de hardcore brutal à faire passer les maîtres du genre « Holy Terror » pour de joyeux lurons.

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Tom Smith, Devin Shidaker, Vincent Bennett, Kevin Boutot et Griffin Landa a.k.a. The Acacia Strain
© Mike Watson

Si en 2019, les membres de The Acacia Strain, avaient ouvert sur le long format It Comes In Waves de nouvelles perspectives climatiques au cœur d’une discographie intraitable et massive, ils reviennent avec Slow Decay avec l’un des albums les plus puissants, directs et abrasifs de ces derniers mois, dans le champs des musiques extrêmes, toutes catégories confondues. En somme, un bonheur pervers, et un disque idéal pour notre web radio spécialisée La Messe de Minuit. De quoi rompre pour quelques temps, notre addiction à des albums aussi importants, qu’Arise de Sepultura, Reign In Blood de Slayer, Forever War de Kickback ou encore Burn My Eyes de Machine Head.

Certains reprochent à ce poids lourd (au sens propre comme au figuré) un pessimisme extrême aussi bien en interview que dans des textes sombres et terribles. Du côté du Chantier, nous pourrions voir dans la catharsis inhérente à cette musique intense et pénétrante, une manière extrêmement combative d’exorciser doutes, tourments, sidération, mélancolie. Si un groupe comme Gojira (à côté duquel nous pouvons largement placer The Acacia Strain au même plan) développe un imaginaire mystique et monumental, inscrit dans un univers héroïque et fantasmagorique, il propulse avant tout sa musique dans la verticalité, où leurs morceaux s’imposent comme d’intenses rituels païens et incantatoires.

A travers Slow Decay, après une parenthèse empreinte de mystères et de détours lithaniques inhabituels, The Acacia Strain active en contraste par rapport à Gojira, son tempérament le plus ardent et son humeur la plus guerrière, au sens actif du terme. Pour le dire autrement, le chanteur et leader désigné, Vincent Bennett, et sa bande ramènent leur musique au cœur de la bataille, dans une horizontalité, un ancrage au ras du sol dans l’élément terre, et pour poursuivre la métaphore belliqueuse, dans des duels rapprochés, même si The Acacia Strain ne cultive pas qu’à la marge une imagerie chevaleresque et médiévale. Cet aspect est évidemment à rapprocher des racines hardcore des canadiens, mais aussi de leur attirance pour le « headbanger » métal façon Pantera, couplant à la fois un rapport extrêmement physique à la musique, avec une manière très direct de se nourrir du réel.

Concrètement, aucun morceau de ce nouvel album ne dévie véritablement d’une trajectoire rectiligne et dévastatrice, à tel point que sur la longueur, le groupe pourrait laisser penser qu’il ne pourra s’arrêter qu’une fois sa mission totalement accomplie. Et il faut d’ailleurs pratiquement attendre, One Thousand Painful Stings, Birds Of Paradise, Birds Of Prey et l’assourdissant EARTH WILL BECOME DEATH pour entrevoir des plages d’accalmies et une forme d’apaisement (très relative), mais si le côté indus, tribal, presque sludge de I Breathed In The Smoke… avait déjà apporté une respiration au sein du tracklisting. Cette dynamique générale s’exprime par une sobriété technique voulue (ils sont capables de beaucoup plus de virtuosité et de démonstration) s’illustrant par une complicité collective permanente. A cette intention très assumée et très volontaire, s’ajoute la formidable mise en scène de featuring de haut vol, qui répondent à merveille au chant expressif, viscéral et radical de Vincent Bennett. Difficile à cet égard, de ne pas évoquer la présence vocale irradiante et décisive, de la frontwoman Jess Nyx, du groupe canadien Mortality Rate, sur le sommet de Slow Decay : The Lucid Dream, et ses alternances rythmiques diaboliques. Les présences vocales de Jess Nyx, mais aussi d’Aaron Heard (Jesus Piece) et de Zack Hatfield (Left Behind) cassent d’ailleurs le côté linéaire de la musique de The Acacia Strain, principal défaut esthétique qu’il leur est souvent reproché.

Dans une année singulière, révélatrice d’une réalité suggérant un avenir particulièrement sombre et obscurci, des musiciens comme The Acacia Strain optent pour une réponse artistique virulente, exacerbée, brutale et frontale, pour tenter de dépasser les visions d’apocalypse qui envahissent nos pensées et les médias en général. Loin de sombrer dans les travers de la dépression et du nihilisme, la radicalité affichée de ce disque est certainement bien plus la résultante d’un acte créatif, animé par le souffle de la vie et la passion, bien plus que par un unique renoncement désespéré, malgré l’évocation d’un scénario, on ne peut plus noir, dans le titre EARTH WILL BECOME DEATH. Dans une période, où beaucoup cherchent à redonner du sens à notre existence même, The Acacia Strain interroge à sa manière, au delà d’une forme particulièrement abrupte, dans le fond et avec une certaine philosophie, des notions aussi fortes que celle de la foi (Seeing God) ou encore du rapport culture et nature Feed a Pigeon, Breed a Rat (avec un point de vue d’ailleurs certainement très canadien de par ses thématiques). A ce jeu là, Slow Decay s’impose comme l’album phare du moment, de notre programmation métal, tant par sa force incommensurable que par son intelligence radicale. Il est à découvrir, et surtout à déguster sans modération sur notre webradio La Messe de Minuit et sur son équivalent en terme de créneau consacré aux musiques extrêmes, sur Le Chantier, tous les soirs de minuit à une heure du matin.

Slow Decay de The Acacia Strain est disponible depuis le 24 juillet 2020 sur le label Rise Records.

https://www.facebook.com/Theacaciastrain/
https://www.bastardcrew.com/

Laurent Thore