Ferme Emmaüs de Lespinassière : cultiver la liberté

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Pourquoi la justice, en France, fait-elle preuve d’une telle frilosité dans l’accompagnement des détenus en milieu ouvert ? Ces placements extérieurs sont-ils la solution à la récidive ? A quels profils de détenus les équipes d’encadrants des fermes Emmaüs sont-elles confrontées ? Sont-elles suffisamment préparées pour les accompagner ? Est-il possible d’essaimer ces expériences sur tout le territoire ?

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©PHOTOPQR/LA NOUVELLE REPUBLIQUE/Mathieu Herduin ; POITIERS ; 13/02/2023 ; François et Zinédine, détenus, travaillent à la ferme Emmaüs de Maisoncelle, près de Lusignan dans la Vienne. Cette structure hébergera à terme 12 détenus en fin de peine pour un travail de réinsertion. [Photo via MaxPPP]

Jamais je ne me sentirai en difficulté face aux interpellations nous ramenant aux «crimes des monstres» : «Et si c’était votre fille, hein ?» J’exècre la violence. Mais je la reconnais partout. Elle existe aussi en moi. Le monstre dont vous parlez et en chacun de nous.” (Sarah Dindo)

La France se distingue par un recours massif à l’enfermement des condamné.e.s, par une surpopulation carcérale dénoncée régulièrement par l’OIP (Observatoire International des Prisons) et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté

En enfermant des humains dans des conditions de proximité intenables et en les soumettant à un régime afflictif, la prison réussit un véritable tour de force : elle transforme des «coupables» en «victimes». En aggravant la situation économique, sociale, relationnelle et psychologique des personnes détenues, l’emprisonnement fait nécessairement croître le risque de récidive. C’est ainsi qu’au nom de la sécurité publique, l’Etat produit davantage d’insécurité.” 

Sarah Dindo est chargée d’études, formatrice et consultante sur les questions de  probation. Elle a été responsable pendant dix ans des publications de l’OIP (Observatoire International des Prisons, section française). Elle publie, Entre Taule et Terre, Construire une alternative à la prison, aux éditions du commun.

La réponse judiciaire est axée sur la répression, et l’aménagement des peines privilégie l’usage du bracelet électronique, qui permet le contrôle coercitif à distance. Dans ces conditions, pour le moins peu favorables à une bonne réinsertion, les fermes Emmaüs font figure d’exception, une véritable alternative à la prison :

“[…] prendre quelqu’un sous écrou, en placement extérieur. Cette mesure d’aménagement de peine permet d’exécuter la fin d’une condamnation à l’extérieur de la prison, avec un hébergement, une activité, un accompagnement et des obligations à respecter. Une sorte de sas, pour se réadapter à la vie extérieure et préparer sa réintégration au lieu d’être confronté, seul et sans filet , aux difficultés de la vie après l’enfermement, avec un risque accru de récidive”.

Sarah Dindo raconte et interroge chaque étape, chaque évolution du projet de la ferme Emmaüs de Lespinassière dans l’Aude. Il s’agit-là d’une histoire d’engagement, celui d’un village, d’une communauté, de Samuel et bien d’autres… 

À Lespinassière, petit village occitan, en 2015, Samuel Gautier reprend un domaine d’Emmaüs “pour y fonder une structure agricole destinée à la réinsertion de prisonniers”. Passé par l’OIP et co-réalisateur du film À l’air libre, sur la ferme picarde de Moyembrie, première du genre en France, il est l’âme de cette aventure.

Beaucoup d’interrogations, de travail de réflexion seront nécessaires afin qu’éclose la ferme de Lespinassière. Et comme le déclare Philippe Juillan, directeur du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) de l’Aude à l’époque : “La plus-value apportée par Lespinassière, c’était la prise en charge globale de l’individu, avec à la fois un hébergement, un travail et un accompagnement, par une équipe dédiée sur un même site, ce qu’on a souvent du mal à réunir.

Entre taule et terre. Construire une alternative à la prison permet d’approcher une expérience d’humanité, du cousu main, sans rien cacher des difficultés des uns et des autres, des faiblesses, des incertitudes.

Mais avant tout pour “Samuel […] montrer qu’une prise en charge des auteurs d’infractions dénuée de dimension punitive est possible. Pour moi, ce qu’on propose n’est pas une peine. Les résidents ont des contraintes, mais dans les fermes, rien n’est pensé pour les faire souffrir.”

Alors, Terrain Social, avec Sarah Dindo, vous invite à découvrir cette ferme Emmaüs de Lespinassière, ces bénévoles, ces encadrants et ces hommes -Killo, Doumé, Hamza,… qui réapprennent, non sans mal, à vivre à nouveau libre ! 

Hugues Chevarin

Pour suivre la réflexion et la découverte :
Vers le site d’Emmaüs France

Moyembrie, première ferme à accueillir des détenus en fin de peine en France.

Terrain Social relaie l’appel à la solidarité avec la ferme de Moyembrie.

Les prisonnières de la ferme Baudonne, Les pieds sur terre, un podcast de France Culture.