La police, (dès l’origine) une institution violente !

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Violences policières ou violences des policiers, violence isolée ou systémique ? Est-il souhaitable de questionner le rôle de la police ? Est-il même pensable de se passer de cette institution ? En quoi les faits qui lui sont reprochés -racisme, sexisme, violences physiques- confirment la nocivité de cette institution, et donc de son inutilité dans une société démocratique ?

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© Sebastien Muylaert/MAXPPP / Rassemblement au lendemain de l’evacuation du camp de migrants place de la Republique pour protester contre les violences policières ainsi que la politique de non-accueil des réfugiés en France. Paris, 24.11.2020

« Dans un pays où la police parle bien plus de ses droits que de ses devoirs, quel espace de liberté peut bien subsister pour les citoyens ? Ces droits revendiqués par les policiers ne peuvent que signifier, parallèlement, le renoncement à la critique quant à la qualité de leurs activités. Lorsque la parole du policier ne peut être réfutée, c’est toute la liberté d’expression qui se trouve mise en cause […].»
Voilà les propos de Maurice Rajsfus, rescapé de la rafle du Vel d’Hiv, dans Je n’aime pas la police de mon pays . aux éditions Libertalia.

D’autres militant.e.s anti-sécuritaires lui ont emboîté le pas, des chercheurs.euses ont consacré leurs travaux à éclairer le rôle de la police, de l’usage de la violence légitime et les rapports que cette institution entretient avec l’Etat. Et comme le formule Maurice Rajsfus, dans la suite de son propos : “[…] il est nécessaire que des témoins ou des observateurs se fassent entendre.”.

Paul Rocher est économiste, diplômé en science politique de Sciences-Po Paris.  Il est l’auteur de Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non-létale en 2020.Il récidive à La fabrique éditions, avec le titre : Que fait la police ? et comment s’en passer , en 2022.

Si le mot police est un terme ancien en Occident, son acception moderne est récente -la mi-XIXème siècle voit l’émergence du capitalisme en France, et par là-même, la création d’une institution – la police- dont le rôle est de protéger son développement et l’Etat qui le soutient :

L’Etat et le marché ne s’opposent […] pas mais se complètent. Le premier rend possible le second qu’il régule afin d’assurer sa perpétuation.” “L’Etat n’a (donc) pas besoin de se trouver sous l’influence de groupes d’intérêt ou de lobbies pour mener des politiques en faveur du patronat puisqu’il en va de son propre intérêt de reproduire l’ordre établi.” “Il est capitaliste «pour des raisons structurelles, et non pas seulement parce qu’il est soumis à l’influence directe du capital».”.

Toutefois peut-on dissocier le policier de l’institution police ? 

Dans son précédent ouvrage, Paul Rocher en dresse le portrait : “Devenir policier passe par un processus de sélection institutionnalisé à l’issue duquel on observe qu’une majorité relative a une vision purement et durement répressive de son métier. L’école de police vise notamment à identifier les candidats correspondant à « un métier dont la caractéristique principale est de pouvoir y employer légalement la violence ».”

Depuis 2016, et “Les Lois Travail”, en passant par les Gilets jaunes jusqu’aux manifestations contre le premier projet de réforme des retraites (retraite à points), la France a été le théâtre d’un déchainement de “violence légitime”, violences policières qui se sont soldées par des milliers blessé.e.s parmi les manifestant.e.s (éborgné.e.s, mains arrachées, traumatismes physiques de toute nature) après l’usage des armes dites non-létales par les forces de l’ordre. Mais de quel ordre s’agit-il ? De l’ordre établi que la police est tenue de défendre !
L’institution police n’a eu de cesse depuis sa création de se vivre comme une “citadelle assiégée” par le peuple -les citoyens-. Et de se plaindre qu’elle n’est pas assez épaulée par l’Etat, qu’elle ne reçoit pas les moyens de sa mission : la protection des citoyens, un mythe savamment entretenu, mais celle du capital.

L’économiste Paul Rocher analyse chaque étape du développement de cette institution, interroge son histoire, et en montre les réalités : violence(s), racisme, collaboration sous le régime de Vichy, sexiste, briseuse de grève. Une institution nuisible à la démocratie dont il faut se débarrasser. Enfin, il offre des pistes de réflexion pour faire sans la police – en soumettant à la sagacité du lectorat les cas sud-africain et nord-irlandais.

Aujourd’hui, l’Etat néo-libéral macronien ne se défausse pas et accorde des moyens toujours plus grands à cette institution pour assurer ces missions de “maintien de l’ordre établi” : “Recrutement de 8 500 policiers et gendarmes sur 5 ans, transformation numérique du ministère, investissements dans la cybersécurité, départementalisation de la police nationale…” Voici quelques-unes des mesures du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) qui prévoit 15 milliards d’euros d’ici 2027.

Toutefois, il n’est pas inutile de mettre en regard la récente décision du Ministère de l’Education nationale de supprimer 1500 postes d’enseignants à la rentrée 2023.

Cela indique assez nettement la nature des arbitrages de la politique néo-libérale conduite par la Première ministre Elisabeth Borne. La priorité de l’Etat capitaliste est sa propre défense, et celle de ses intérêts. Il est donc “normal” qu’il dote l’institution qui le protège -la police-, et lui donne des garanties -celle d’avoir les mains libres, de n’être l’objet d’aucune contestation-

Terrain Social, avec l’économiste Paul Rocher, examine une institution violente -la police- et les mythes sur lesquels elle repose.

Hugues Chevarin

Références de l’interview : 
Manifestation des policiers, le 19 mai 2021, devant l’Assemblée nationale, un article du Monde.
Dans Contretemps, Revue de critique communiste, l’article :Paul Rocher : Démasquer et affronter le glissement autoritaire. À propos de l’ouvrage collectif « Police » à la Fabrique éditions.  

Terrain Social attire l’attention sur la Collection Maurice Rajsfus, aux éditions du Détour 

Retour sur trois affaires : 
Mort de Steve Maia Caniço (lors de la Fête de la musique 2019), le parquet ouvre la voie à un procès en correctionnelle, Le Monde, 1er décembre 2022.
Mort de Cédric Chouviat (interpellé le 3 janvier 2020, il décède deux jours plus tard), une nouvelle expertise confirme la responsabilité des policiers, Le Monde, 24 janvier 2022
Passage à tabac de Michel Zecler, le 21 novembre 2020, les images révélées par Loopsider.

Sans oublier à Clermont-Ferrand, l’affaire Wissam El-YamniWissam Vérité, Farid El-Yamni, préface de Mathieu Rigouste, aux éditions du Croquant.
Une pièce de théâtre : La comparution (La Hoggra), enquête historique autour des violences policières par la Cie Le désordre des choses.
Affaire Wissam El-Yamni : sept ans après, sa famille toujours dans l’attente de la vérité (ACAT France)

Les méthodes policières : 
Un film : Un pays qui se tient sage, David Dufresne

Comment la police a saboté la manifestation du 12 décembre 2020. Enquête vidéo. Médiapart
« Depuis la guerre d’Algérie, on n’a jamais assisté à un tel climat répressif » –  Bastamag, 7 janvier 2021 – Un entretien avec l’historienne Danielle Tartakowsky.
À Toulouse, le procès du chercheur Mathieu Rigouste met en lumière les violences policières, Médiapart, 6 janvier 2023.

Un inquiétant profil mais très éclairant sur l’institution police : Qui est Claude d’Harcourt le nouveau conseiller de Gérald Darmanin, revue Lundi matin.

Citations sonores : 
Interview d’Emmanuel Macron le 04 décembre 2020 au média Brut.
La commission de lois de l’Assemblée Nationale auditionne le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 30 novembre 2020, « sur les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre ont eu recours à la force lors de différents événements survenus à Paris depuis la manifestation du 17 novembre », date de la première mobilisation contre le projet de loi « sécurité globale« .

Un autre épisode Terrain Social

Échec à la contre-insurrection (l’interview !) – Mathieu Rigouste, sociologue et militant anti-sécuritaire.