Université : de la « guerre des mots » à la guerre culturelle

Social

Que se passe-t-il donc à l’université pour qu’elle soit si vilipendée par la droite néo-conservatrice et réactionnaire tant en Amérique du Nord qu’en France ? Que se tramerait-t-il, en particulier, dans les sciences sociales ? Ne seraient-elles qu’un repère de féministes enragé.e.s et de militant.e.s anti-racistes, pourfendeurs des études classiques ? Que disent ces élucubrations de l’agenda des droites réactionnaires ? Assiste-t-on, là, à la bataille des idées dans la guerre culturelle qu’elles livrent aux progressistes ?

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©Paul Hennessy/ZUMAPRESS.com/MAXPPP/Février 2022/Orlando, Florida, United States: Workers prepare the stage for the 2022 meeting of the Conservative Political Action Conference (CPAC).Former U.S. President, Donald Trump is scheduled to speak at the four-day gathering, as well as Florida Gov. Ron DeSantis.

Les polémistes dont il est question dans ce livre n’utilisent pas les termes political correctness ou woke dans le but d’encourager la réflexion et clarifier la pensée. Ils s’en fabriquent plutôt des mots piégés, une notion que les spécialistes de la manipulation de l’opinion définissent comme toute expression qui sert à déclencher un sentiment de panique, de répulsion ou  de colère à l’égard d’individus et de groupes qu’on veut étiqueter comme déviants ou dangereux. Ces termes sont maniés comme une “arme” pour critiquer et dénigrer l’enseignement et la recherche dans certains champs d’études ainsi que les prises de paroles étudiantes, en particulier féministes et antiracistes

Francis Dupuis-Déri est professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Auteur de très nombreux ouvrages faisant autorité, il publie aux éditions Lux, Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires.

L’université, en particulier les sciences sociales, aux USA, au Canada et en France, est l’objet d’un discours oscillant entre fantasme délirant -s’y préparerait l’effondrement de l’Occident, mensonge -sur la nature même des études décriées- et haine de l’autre -des féministes, des LGBTQIA+, des antiracistes, voire d’hypothétiques “islamo-gauchistes”, si chers à Jean-Michel Blanquer, ex-ministre de l’Education nationale et à Frédérique Vidal, ex-ministre de l’enseignement supérieur.

 Cela n’est pas sans rappeler le temps, comme le souligne Francis Dupuis-Déri, avec un brin d’ironie, des “judéo-bolchéviques” !

Toutefois, sale temps pour l’université : “[…] des groupes d’extrême droite, voire ouvertement néonazis sont également bien présents sur les campus. Un groupe de recherche a d’ailleurs défini ainsi les fondements idéologiques de l’extrême droite aux Etats-Unis : «Sa croyance principale est que l’”identité blanche” est soumise aux attaques des élites progressistes et multiculturalistes et des soi-disant “social justice warriors” qui useraient de la “political correctness” pour miner la civilisation occidentale et les droits des hommes blancs.».

L’auteur démontre que ces discours masquent un autre front, politique celui-là. Il faut donc des hérauts d’armes -tels Eric Zemmour, ex-candidat à l’élection présidentielle, Mathieu Bock-Côté, sociologue canadien et chroniqueur sur CNews, Alain Finkielkraut, philosophe, oeuvrant toujours sur le service public à France Culture, ou encore l’écrivain Pascal Bruckner, pour engager la bataille. L’intarissable logorrhée de ces chantres réactionnaires, ayant table ouverte dans les médias tels Cnews (propriété du milliardaire Vincent Bolloré), le groupe Québecor (détenu par le milliardaire canadien Pierre Karl Péladeau) ou encore Fox News aux USA (fondée par le magnat de la presse Rupert Murdoch, et toujours aux mains de la famille) qui a soutenu, sans coup férir l’ascension de Donald Trump, a pour but de produire de la panique !

Surgissent alors des mots fourre-tout ou détournés -woke pour le plus récent, vidés de leur sens, visant à décrédibiliser un certain nombre de nouvelles approches scientifiques : études de genre, intersectionnalité, et celles portant sur le racisme entre autres !

Dans cet essai, Panique à l’université, Francis Dupuis-Déri démine, pas à pas, le terrain. Il recontextualise les termes détournés, en explique l’usage et l’évolution dans les saines controverses universitaires. Il donne à voir une géographie des discours réactionnaires, et leur circulation de l’Amérique du Nord à l’Europe, dans un aller-retour transatlantique -en particulier avec le Québec ! Il y décrypte les tentatives de reconquête (sans jeu de mot) par la droite extrême, ou l’extrême droite américaine ou française des champs médiatique et politique. Dans ce travail de la méthode, il explique l’instrumentalisation du concept de liberté, celle qui, supposément, leur serait confisquée, brandie à tout propos comme argument massue ! Elle devient alors le fer de lance de cette guerre culturelle dont le but ultime est la défense de l’homme blanc.

Terrain Social, grâce à Francis Dupuis-Déri, ne cède en rien à la panique et discerne les véritables buts de ces droites néo-conservatrices et réactionnaires !

Hugues Chevarin

Article et ouvrage cités dans l’interview : 

DeSantis, l’anti-woke, article d’Emilie Nicolas, dans le quotidien Le Devoir. 

L’Âme désarmée d’Allan Bloom, aux Belles Lettres.

Pour continuer la réflexion : 

Une droite intellectuelle américaine en pleine mue illibérale, une enquête du journal Le Monde.

Et l’indispensable site ACRIMED, Observatoire des médias.

D’autres Terrain Social sur ces sujets : 

#9 – Décoloniser l’université ? – Stéphane Dufoix

#43 – Intersectionnalité : l’autre question – Sarah Mazouz

Un autre sujet de la rédaction par l’équipe du podcast Du Biscuit dézoome sur Zemmour

Et pour terminer : Citation sonore du polémiste et chroniqueur sur CNews, Mathieu Bock-Côté, à partir d’un compte YouTube québécois. (pour dire combien la circulation transatlantique de la parole réactionnaire fonctionne à merveille).