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L’univers foisonnant de Yes Basketball est sans doute la résultante des fantasmes musicaux accumulés de son géniteur, l’artiste indépendant Pierre Marolleau. Activiste créatif au cœur de nombreuses connexions artistiques reliant les différentes zones d’influences des scènes alternatives hexagonales, il semble aujourd’hui encore plus qu’hier, avide de nouvelles expériences, malgré son statut de figure indie acquis au sein des excellents Fordamage ou encore au cœur de My Name Is Nobody. Il pousse ainsi le curseur encore plus loin avec son premier LP, Goodbye Basketball, sous son nouvel alias. Ce disque traduit de manière implicite et avec beaucoup d’intensité, l’énergie chaotique du monde actuel, à travers une musique foncièrement hybride et viscéralement urbaine.

Yes Basketball Pierre Marolleau Goodbye Basketball

© Yoann Buffeteau

Goodbye basketball est avant tout un album versatile, tout en tension, aussi cogneur que séducteur. Il combine avec beaucoup d’audace et de fluidité, le côté implacable de la noise, l’impact percussif de la musique indus, le groove du hip-hop et les digressions formelles du math rock, le tout en laissant sous le vernis poisseux d’une certaine radicalité sonore, émerger les marqueurs de la pop.

Dans la discothèque bordélique et pas forcément idéale de cet aventurier joueur, doivent se croiser des disques cultes et bruitistes de Cop Shoot Cop, Bästard (avis aux puristes ?), Can, les œuvres solo de Mark Hollis, les mixtapes détonantes de Moodie Black, un certain esprit bouillonnant et DIY à la française si présent chez Marvin, Binidu ou Electric Electric, le lyrisme exacerbé de quelques groupes américains pas vraiment comme les autres à l’image de Battles et de Deerhoof, une dose de musiques extrêmes bien épaisses façon Relapse Records (Plan B, Realize, Zonal, Unsane…) et même quelques références signées Nick Cave, des plus obscures aux plus emblématiques.

Concrètement, entouré de quelques flibustiers remarquables de la cause indé qu’il a débauchés de leurs navires respectifs (Bantam Lyons, Totorro, Trunks…), Pierre Marolleau trace un chemin parallèle, comparable à celui des suisses de Puts Marie pour cette capacité à se débarrasser des convenances et à se jouer des conventions, le tout en maintenant le cap d’une vraie cohérence, appuyée par un certain sens de la mise en scène, une certaine théâtralité.

Tout au long de Goodbye Basketball, les étapes se suivent et ne se ressemblent pas. New Shit 1, la première pièce du puzzle est absolument parfaite dans son rôle introductif, tant elle ouvre à la fois les possibles sans imposer de murs volontairement abrupts et rétifs, tout en ne mentant pas sur la matière sonore exacerbée à venir.

Son clip ajoute une véritable dimension augmentée dans la perception de la musique de Yes Basketball. Il amplifie, au travers de parti-pris esthétiques et colorés, la sensualité intrinsèque de la mécanique rythmique à plusieurs niveaux de Yes Basketball, et plus encore, son rapport charnel et physique à la musique, au point d’évoquer la métaphore de la jouissance sexuelle, comme une sorte de contre pied salvateur et décalé face à la standardisation des esthétiques « porn chic » en vogue dans le champ des musiques actuelles. Encore une preuve de la dynamique collective, qui entoure la création de Pierre Marolleau, puisque cette réalisation vidéo singulière est l’œuvre d’un proche complice, en la personne de Michel Le Faou. Il active d’ailleurs avec lui l’entité Mamoot, quartet de math rock cinématique très puissant à destination du jeune public, au sein duquel on retrouve également le graphiste de la sublime pochette de Goodbye Basketball, Yoann Buffeteau, à posséder de toute évidence en vinyle !

Il faut être quelque part un peu masochiste pour revenir encore et encore sur ce disque exigeant et dense, même si, à force d’abnégation et d’implication, le plaisir devient réel, jubilatoire, intense. Par son côté industriel et bruitiste, (quelque part très new-yorkais par procuration), l’ensemble se transforme en une passionnante plongée immersive dans les interstices rugueux et abrasifs de l’asphalte et du béton, animé par une sorte d’imaginaire cyber-punk rétro-futuriste, fouillant les poubelles des bas-fonds sales et pervertis de la ville, symbole ultime de la modernité.

Le LP Goodbye Basketball de Yes Basketball est disponible depuis le 13 novembre 2020 via Les Disques Normal et A Tant Rêver du Roi.

Laurent Thore