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Vivien Goldman est une figure des musiques alternatives. En tant que musicienne, elle a été une des fondatrices du groupe iconoclaste The Flying Lizard, en 1979. Elle a aussi été aussi journaliste pour le NME et Melody Maker, fonction à travers laquelle elle a largement exploré et documenté le punk depuis sa naissance dans les années 70. Son point de vue ambivalent, à la fois celui d’une actrice même du mouvement punk anglais et celui d’une observatrice experte marque foncièrement son essai sur les She-Punks. Ces femmes se sont emparées, et s’emparent encore, de la liberté artistique et anti-conventionnelle du punk, pour tracer de nouvelles voies d’émancipations et s’extraire d’un certain déterminisme.

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Vivien Goldman

Depuis septembre dernier, grâce au travail d’édition de la maison Le Castor Astral, dans sa collection Castor Music, une traduction française signée Cyrille Rivallan permet de pénétrer le discours revigorant et militant de l’Anglaise Vivien Goldman, vivant désormais comme un symbole à New-York, autre épicentre de la genèse du punk.

Tâche ardue et complexe, que de retranscrire en Français, la vivacité du propos orchestré par Vivien Goldman. Si le livre se perd quelque peu d’ailleurs dans son introduction, cherchant à justifier la raison d’écrire ce livre qui pourtant ne fait aucun doute, il prend toute sa dimension par la suite, au cœur de chapitres thématiques, riches et intelligents. La grande force de ce livre réside avant tout dans sa capacité à créer de probants jeux de miroirs, entre les parcours de vies, les motivations, les enjeux de l’ensemble de ces protagonistes. Il y a évidemment celles qui appartiennent déjà à la grande histoire officielle du rock, même si leurs rôles sont encore trop souvent relégués à des rôles subalternes ou systématiquement regardés en comparaison des hommes, à travers le prisme d’une histoire très masculine : Pattie Smith, Viv Albertine (guitariste des fameuses Slits, et elle-même auteur d’une biographie saisissante et touchante sous le titre français De fringues, de musique et de mecs dans la collection 10/18), Carrie Brownstein (Sleater Kinney) Kathleen Hanna (Bikini Kill), Poly Styrene (X Ray-Spex). Il y a aussi des musiciennes, plus confidentielles (en tout cas en France), mais non moins remarquables, qui plus est pour certaines, évoluant en dehors du monde occidental à proprement dit, comme l’Indienne Noma Nazir (Pragaash).

Bien sûr, il est toujours question ici de féminisme au sens très militant du terme mais pas nécessairement idéologique. Ainsi le sujet est souvent celui d’une quête émancipatrice, tant ces femmes se réapproprient la liberté créative du punk, pour se libérer elle-même du poids de la norme, du conservatisme, du patriarcat, du travail domestique et du capitalisme. Luttant avant tout contre les principes généraux de la domination, leurs engagements débordent souvent dans la lutte contre toutes les formes de racisme, et même contre le totalitarisme comme les membres du groupe russe Pussy Riot… Elles revendiquent et assument le droit d’être elles-même, d’être différentes, d’être autonomes, de choisir, en bouleversant par exemple les idées reçues sur la notion même de relations amoureuses. Ce chemin féministe est forcément multiple, même si des points de convergence apparaissent, comme la lutte contre la pratique endémique et sociétal du viol par exemple, mais il donne lieu à des incarnations singulières et largement influencées par des environnements sociaux et culturels très différents, particulièrement dans le chapitre 4, intitulé Woman-Ifestation, introduit par les mots fédérateurs de la femme politique russe d’exception, Alexandra Kollontaï (1872-1952).

La Revanche des She-Punks ne deviendra peut-être pas le livre de référence sur le sujet, par son côté foisonnant et quelque peu bordélique, son point de vue unique et subjectif, le tout participant pourtant dans le fond comme dans la forme, à son récit très vivant et finalement très réaliste. Il s’inscrit admirablement bien dans toute une série de livres indispensables, écrits par des femmes (le rock reste mine de rien toujours la chasse gardée des hommes en 2020 !) comme le génial Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk féministe de Manon Labry (dans la collection Zones, un label des éditions La Découverte). Enfin, à contre-courant des caricatures pouvant entourer les She-Punks, et plus généralement les femmes, dans les courants artistiques alternatifs, ce livre apporte beaucoup de nuances dans les tiraillements, les désirs, les émotions que ressentent et assument ces femmes, à l’image des paroles de la chanson post-punk dub Launderette écrite et chanté par Vivien Goldman elle-même en 1981.

« I wanted tenpence for the dryer
Yes, that was how we met
My laundry bag was broken
My clothes were soaking wet
I felt I needed hugging
You needed board and lodging »


« J’avais besoin d’une pièce pour le sèche linge
C’est comme ça qu’on s’est rencontrés
Mon sac de linge était troué
Mes fringues étaient toutes trempées
J’ai senti que j’avais besoin d’un câlin
Toi t’avais besoin d’une pension complète »


La Revanche des She-Punks de Vivien Goldman, traduction Cyrille Rivalan, est disponible depuis septembre 2020 chez Castor Astral.

Laurent Thore