Actus

La musique pop influence à l’évidence la couleur musicale du Chantier, qu’elle soit mélodique, élégante, alternative, cosmopolite, malicieuse, romantique, décalée, militante, rageuse, expérimentale… Si pour certains, tout a déjà était dit, que plus rien ne reste à inventer, à l’inverse, des groupes, des artistes, continuent d’œuvrer dans le champ de la pop, en traçant leurs propres chemins, activant le jeu subtil de la mélodie et du verbe, avec beaucoup de sincérité, de sensibilité, de passion à l’image dernièrement de Tunng, Magon, Jim Ballon, Slim & The Beast, DG Solaris, Nicolas Michaux et Louis Jucker.

le chantier pop musique

Tunng

Tunng est certainement l’un des groupes les plus attachants du circuit pop mondial. Depuis 2003, ce groupe londonien à géométrie variable a construit une discographie remarquable à et sensible, à la musicalité fluide et inventive, dessinant les reliefs d’un univers folk amoureux du son et des expérimentations, tout en gardant une incroyable propension à délivrer de délicieuses chansons pleines d’esprit, de décalage et de grâce. Dans cette continuité créative, emmené par l’épatant Sam Genders (de retour depuis 2018), Tunng se signale depuis le début de l’année à travers des titres aussi intenses et magnifiques que Scared To Death, A Million Colours ou ce qui apparaît déjà comme un classique Death is the New Sex (rejoignant ainsi les emblématiques Hustle, Bullets et ABOP). Ils révèlent avec brio l’essence du futur album Tunng presents… DEAD CLUB : en premier lieu sa grande finesse de timbres et d’harmonies au niveau de l’instrumentation (centrée autour du piano), mais ouvre aussi les portes d’un concept, largement influencé par l’œuvre de l’écrivain et homme de lettres anglais, Max Porter. Ce LP dépasse tout simplement le cadre de la musique, par son envie d’aller vers les autres, par son envie d’exprimer un regard humaniste poétique et philosophique, par son envie de questionner la condition humaine et notre rapport à la mort. Écouter Tunng presents… DEAD CLUB devient alors l’occasion de vivre une expérience émotionnelle, pleine et entière, que ce soit à la première rencontre, emporté le foisonnement mélodique de ces 12 titres ou imprégné écoute après écoute par la singularité, la justesse d’un travail intellectuel, littéraire et réflexif de très grande qualité (ayant aussi donné lieu à une série de podcast).

L’album Tunng presents… DEAD CLUB de Tunng sortira le 6 novembre prochain sur le label Full Time Hobby.

Magon

Il y a à peine un an, Magon dévoilait avec son premier album solo Out In The Dark, un étonnant tempérament électrique et vif, en parfait « songwritter indie ». Il baignait alors avec insouciance en plein revival 90’s, dans une veine Pixies, Sebadoh, Dinosaur Jr., le tout avec ce mélange de désinvolture et d’élégance digne des Modern Lovers de Jonathan Richman. Depuis quelques jours, l’israélien, désormais installé à Paris, active les slides de guitare du nonchalant et très prenant Change, prélude à son album Hour After Hour. Sa musique évolue sur ce 2ème disque : elle prend les habits d’un folk rock garage, pouvant rappeler par moments les grandes heures de l’anti-folk NY : le dandysme décomplexé d’Adam Green, la fraîcheur détonante de son pote Jeffrey Lewis. Difficile également de ne pas évoquer la figure du Velvet Underground qui plane au dessus de ce disque urgent et élégant, plein de charme et de vie.

L’album Hour After Hour sortira le 29 janvier 2021 sur le label December Square.

Jim Ballon

Chez Jim Ballon, le temps s’écoule différemment. Il s’étire dans les méandres héroïques du son. Il s’évade dans la poésie des textes, porté par le lyrisme d’un chant vibrant et expressif, dans les mélodies évanescentes du dialogue permanent entre la guitare et la basse. Il s’immisce dans les interstices d’un imaginaire mystérieux et psychédélique. Pour accrocher à Plastic Shores (2ème et passionnant album des Tourangeaux), il faut donc aimer se perdre, aimer se laisser emmener dans un espace cotonneux, immersif, mystique, qui combinerait la sensibilité d’Andrew Bird avec le post-rock narratif des premiers Mogwai, le mysticisme incantatoire de Lift To Experience avec cette capacité à propulser la musique dans la stratosphère, du groupe américain The Black Angels. Loin d’être convenue ou attentiste, la musique du trio montre avec beaucoup d’intentions, qu’en 2020 la pop peut être toujours aventureuse et libre sans être nécessairement inaccessible ou pédante.

L’album Plastic Shores de Jim Ballon est sorti le 25 septembre chez Another Record / Figures Libres et Idéal Crash.

Slim & The Beast

Slim & The Beast réunit trois copains, trois frères de cœur (dont deux le sont aussi de sang) autour d’une certaine vision musicale, définie historiquement entre autres par des orfèvres pop comme Paul Mc Cartney, Simon & Garfunkel, Crosby, Stills, Nash & Young. La musique du trio est ainsi une musique heureuse, sensible, nomade et harmonieuse. Elle n’a pas vraiment d’autre prétention que de toucher la sensibilité des gens par sa générosité, sa simplicité, sa lumière. Si la base de leurs chansons semble souvent naître de l’éternelle guitare-voix, depuis quelques temps, leur folk agile se révèle dans des arrangements élastiques et modernes, aux fines effluves soul, blues, disco, funk, électro. Ne voulant pas rester prisonnier d’une étiquette folk réductrice, Aurélien, Aaron et Samuel ont en effet ouvert leur territoire créatif à des compositeurs et arrangeurs talentueux et précis, comme Thomas Lavernhe (Pampa Folks…), Yan Gorodetsky (Gush…) et même Jules Jaconelli (connu entre autres, pour son travail de composition pour le cinéma et la télévision), tout en étant largement influencés par les écoutes des dernières productions de Tame Impala et de Parcels. Distractions est la parfaite illustration de l’évolution en cours du groupe, qui se révélera avec toujours plus de nuances, prochainement sur un deuxième EP, acteur d’un groove fin et organique.

L’EP II de Slim & The Beast sortira le 30 octobre 2020 avec Wiseband.

Nicolas Michaux

Autant l’avouer du côté du Chantier, le nom de Nicolas Michaux n’évoquait quasiment rien, il y a encore quelques jours. Et pourtant, une seule écoute de l’album Amour Colère (son 2ème LP, sorti cette année) aura suffi pour nous combler de bonheur, emporté par un sens de la composition peu commun, et bluffé par une maturité artistique tout en nuances et en apesanteur. Le belge permet en effet sur ce disque à deux facettes de sa personnalité musicale de cohabiter avec finesse : son côté intimiste autour de chansons fragiles, romantiques et faussement naïves, chantées en français, (déjà mise en lumière en 2016 sur le LP À la vie A la mort, largement acclamé, à sa sortie sur le label français Tôt ou Tard) et un côté rock à l’anglo-saxonne, symbolisé par des morceaux élégants et sensuels, et même remuants comme sur le très entraînant Parrot. Son activité de producteur n’est certainement pas étrangère à la justesse confondante qui émane de ce disque particulièrement équilibré et cohérent, qui ne quitte plus notre platine depuis une première écoute gourmande et jouissive.

L’album Amour Colère de Nicolas Michaux est sorti le 25 septembre 2020 sur le label Capitane Records.

DG Solaris

Derrière DG Solaris, se cache, ou plutôt se décuple le talent d’un habitué de la playlist du Chantier, à savoir l’anglais Daniel Green, plus connu sous le patronyme de son groupe principal Laish. Plus simplement, ce premier album de DG Solaris est la résultante d’un voyage au long cours en Amérique du Sud en compagnie de sa complice dans la vie, comme dans la musique, Leana Green. Spirit Glow est ainsi une sorte de traduction musicale d’une expérience amoureuse, très humaine, riche et introspective. A deux voix, ces deux âmes sensibles et romantiques, mais absolument pas niaises, dévoilent une pop tendre et imagée, en forme de conversations, solidement accompagnés par de fidèles musiciens comme Matt Canty à la batterie ou Tom Chadd aux claviers. En ressort une délicieuse collection de morceaux naturellement folk, foncièrement pop, subtilement psychédéliques, n’ayant pas peur d’un certain lyrisme, et surtout d’exalter les émotions et la passion qui l’habite. Par effet de miroir, la version acoustique de cet album, souligne avec une vérité bluffante, la sincérité de la relation qui unit Daniel et Leana, dans des instants absolument divins comme The Moon. DG Solaris s’inscrit ainsi profondément dans l’héritage sonore du folk psyché anglais, symbolisé entre autres par la grande musicienne Vashti Bunyan, mais avec la singularité d’une histoire personnelle et intime saisissante.

L’album Spirit Glow de DG Solaris est disponible depuis le 19 juin dernier, sa version acoustique depuis le 28 août 2020.

Louis Jucker

Le suisse pourrait raffler le titre honorifique d’indé créatif de l’année. En même temps, Louis Jucker s’épanouit artistiquement depuis quelques années, dans une activité musicale débordante, que ce soit en solitaire, au sein de Autisti avec la géniale Emilie Zoé, ou avec ses fidèles compagnons de route dans Coilguns, pour un versant plus extrême, bruyant et sauvage. A peine le temps de se remettre du choc provoqué par l’inattendue relecture de son album solo Krakeslottet, avec justement ces potes de Coilguns, avec qui il a tourné pour défendre ce disque volontairement lo-fi, que se présente déjà le pénétrant Something Went Wrong, véritable petite merveille de sensibilité post-grunge, qui pourrait aller jusqu’à rendre dingue l’un des maîtres du genre en la personne de Lou Barlow. Des chansons bricolées et artisanales à la beauté naturelle vibrante, un feeling exceptionnel pour un artiste particulièrement inspiré, une malice instrumentale qui se joue des contraintes et se libère des conventions, une sincérité décuplée par un enregistrement sans artifice, au plus près du réel. Autant d’éléments qui nourrissent une oeuvre particulièrement touchante, profondément marquée dans son ADN par la notion même de création indépendante, et par sa volonté de proposer une alternative intègre face à une certaine standardisation qui caractérise le versant le plus industrielle et médiatique des musiques populaires.

L’album Something Went Wrong de Louis Jucker sortira le 30 octobre 2020 sur le label Hummus Records.

Laurent Thore