Nuit tu n’en finis pas

Actus

Programmer la musique d’une radio, est un exercice plus ou moins soumis à quelques règles génériques, comme celle de la durée standard des morceaux, ou d’une certaine accessibilité pop au sens large du terme. Mais être programmateur musical d’une radio telle que Le Chantier reste aussi et avant tout une histoire de passion et d’émotions, qui dépasse heureusement le cadre contraignant de la norme et des codes existants.

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Force est de constater que dans la multitude d’approches et de styles qui se manifestent dans l’ensemble des nouveautés qui arrivent chaque jour, se distinguent à l’évidence des artistes passionnants dont le chemin esthétique, musicale et sonore est parfois éloigné, voire très éloigné d’une veine « radio friendly ». Un dilemme peut alors s’installer entre l’envie motivée de mettre en lumière des musiques différentes et le maintien d’une certaine cohérence d’antenne. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui nous a certainement motivé à créer en parallèle du Chantier le flux Nuit tu me fais peur, autour d’une couleur musicale résolument immersive, instrumentale et captivante, à l’image de cette sélection de groupes créatifs et inspirés, que vous ne manquerez pas de découvrir plus largement en écoutant les différentes incarnations du Chantier.

Palo Alto

Un groupe comme Palo Alto symbolise par essence cette approche divergente de la musique, à la frontière mouvante et sinueuse entre la musique pop, les musiques savantes et expérimentales. À l’occasion de son trentième anniversaire, ce trio organisé autour de Jacques Barbéri, Laurent Pernice et Philippe Perreaudin, s’intéresse à l’œuvre du groupe mythique de rock progressif Soft Machine, tout en assumant pleinement une attirance pour la philosophie de Gilles Deleuze. Ce penseur dont le livre Milles Plateaux écrit avec Félix Guattari, au début des années 80, n’en finit décidément plus d’influencer la créativité et les préceptes d’artistes alternatifs évoluant dans les sphères de l’electronica, du post-rock, de la musique industrielle et du jazz expérimental, à l’image de ce 10ème album de Palo Alto. Sur ce LP Difference And Repetition, s’articulent 4 pièces sonores autonomes mais reliées par l’empreinte de la pensée Deleuzienne. Elles sont chacune à leur tour imprégnées par l’implication décisive d’une personnalité majeure, à savoir dans l’ordre le guitariste Richard Pinhas, le multi-instrumentiste Thierry Zaboitzeff, l’auteur et poète Alain Damasio, et enfin Rhys Chatam, figure de l’avant-garde musicale américaine. Un clip, réalisé par une figure des arts vidéos en France, Jérôme Lefdup, présente depuis quelques semaines une version edit du morceau Rhizome, en prélude à la sortie imminente de Difference And Repetition.

L’album Difference And Repetition : A Musical Evocation Of Gilles Deleuze de Palo Alto sortira le 15 octobre 2020, sur Sub Rosa, via Differ-Ant.

Temps Calme

Depuis Lille, un autre trio active les vertus pop de sa musique, à travers une intention climatique absolument captivante. Le côté décontracté et joueur d’Olivier Desmulliez, de Samuel Allain et de Nicolas Degrande contraste d’ailleurs étonnamment avec la mélancolie et l’intensité de leur musique. Ils se nomment ainsi sobrement Temps Calme, comme une sorte de pied de nez aux habituels patronymes mystérieux et ésotériques si courants dans cette veine psychédélique de la pop. La voix n’est jamais vraiment absente de leurs morceaux, mais elle s’implique dans le son tel un véritable instrument, suggérant des textes bien plus qu’elle ne les dévoilerait ouvertement, à l’image du très planant Dancing Owl magnifié par la session live sans artifice à découvrir aujourd’hui. Ainsi la complicité harmonique des chants d’Olivier et Samuel, installe les prémices d’une histoire, qui se révèle ensuite dans le développement libérateur du jeu de questions / réponses entre la batterie, la guitare et les claviers.

L’album Circuit de Temps Calme est prévu pour le 6 novembre 2020 via Chancy Publishing.

Onoda

Partagé entre Paris et Bruxelles, le groupe Onoda réunit en son sein, quatre tempéraments musicaux déviants et libres, repérés ici et là dans d’obscurs formations comme La Peste, Dead Mantra… Soit les musiciens Pierre Hamelin, Louis Muller, Antoine Poirier et Thibaud Nascimben. Selon leurs propres mots, leur musique répétitive se définirait par des drones froids et des batteries bruyantes. Ainsi, un morceau comme Land impose au fur et à mesure de son développement un mur du son de plus en plus infranchissable, harcelé par un rythme de plus en plus tribal et de plus en plus obsédant, un peu comme si Mogwai, dans sa version la plus électrique, se noyait dans les méandres synthétiques d’un vieux morceau culte de Plastikman. Au delà d’un éventuel concept, la musique d’Onoda s’érige ici avant tout comme un rituel cathartique et physique pour ses protagonistes, dans une forme d’abandon extatique dans la musique et dans le bruit. Plus largement, l’album Land/Islands impressionne par la densité des cinq morceaux qui le compose, symbolisée par sa capacité à sculpter en permanence la matière sonore, à travers une écoute partagée et une attention aux autres peu commune.

L’album Land/Islands d’Onoda sortira le 9 octobre 2020 sur le label Cranes Records.

Duo Brady

Au hasard des écoutes, il est toujours aussi surprenant et délicieux, de découvrir un groupe aussi atypique et pur, que le Duo Brady. Plus précisément, deux instrumentistes accomplis et libres, qui se sont réunis autour d’un commun, le violoncelle, mais aussi dans le plaisir de l’improvisation. Pas vraiment jazz, ni vraiment baroque, leur musique de chambre sensible et organique dessine de somptueux paysages sonores oniriques à travers un lyrisme complice particulièrement expressif. Dans la sphère du rock indépendant, ce jeu de corde tantôt pincé tantôt frotté, pourrait évoquer les envolées héroïques du violon romantique de Warren Ellis, acteur majeur des Bad Seeds de Nick Cave et leader de son propre trio, Dirty Three, mais sans le côté distorsion et incendiaire de l’Australien. Mais loin du rock et de la noise, le chemin de Michèle Pierre et de Paul Collomb est une voie volontairement acoustique, sans artifice, qui joue avec les espaces, la profondeur de champ, les silences, mais aussi la retenue comme l’exaltation. L’exploitation physique de toutes les ressources de l’instrument, ce sens du détail sonore, rappelle également les possibilités évocatrices et sculpturales des guitares de l’anglais Andy Cartwright alias Seabuckthorn. L’imaginaire de ces deux musiciens est assurément celui d’un voyage à la portée généreuse et universelle, vers un folklore sans géographie précise autre que celle de la métaphore de la plaine.

L’album Plaines du Duo Brady sera disponible à partir du 10 octobre 2020 en version physique sur le site du groupe et en digital sur bandcamp.

Mole Machine

Depuis quelques mois maintenant, de l’autre côté de l’Atlantique, le micro label, Unlog, basé à Montréal, nous permet de découvrir les émanations créatives de la nébuleuse de producteurs de musiques électroniques qui l’anime. Dernier en date, Mole Machine, de Montréal également, artiste évoluant dans la sphère des musiques électroniques évanescentes, entre breakbeat et electronica. Si les climats qu’il installe sur son plus récent EP Dancing Plague, développent un fort pouvoir d’abstraction, ils ouvrent aussi les portes d’un imaginaire chaotique, nourri de science-fiction, de mythologie et de légendes. Musicalement, le titre Dancing On A Tipping Point survole de très loin l’ensemble de ce format court. De par sa construction tout en progression, où s’additionnent, se répètent et s’entremêlent rythmes, loops et événements sonores, et par effet d’aspirations, qui nous entraîne dans un tourbillon de sens. Devant les images composites de la vidéaste Emma Géraud, à l’origine d’un clip créatif et dynamique particulièrement bien pensé, la sensation s’en retrouve décuplée, à tel point qu’on aimerait se fondre dans cette chorégraphie à la fluidité étonnante, à travers une projection grand format.

L’EP Dancing Plague de Mole Machine est disponible sur le bandcamp du label Unlog depuis le 24 septembre 2020.

Flica

Flica de son vrai nom, Euseng Seto, est un musicien malaisien expérimenté, évoluant sur le label japonais Schole Records. Sur son dernier EP Tappskog, sa musique planante et rêveuse aux effets néo-classical indéniables, agrège avec une certaine douceur une série d’éléments organiques fantomatiques (piano, bruits boisés, guitare acoustique…), le tout avec beaucoup de retenue et de sobriété. Il n’y a rien ici de virtuose ou de très aventureux, mais il exprime avec beaucoup de sincérité une tendre mélancolie en ramenant la musique dans une forme de lenteur méditative, contrastant à l’évidence avec la suractivité du monde moderne. Bien plus des tableaux que de véritables compositions, ces morceaux invitent à se laisser aller, à se perdre dans le son, pour mieux échapper à la frénésie ambiante.

L’EP Tappskog de Flica est sorti le 25 septembre 2020 sur le label Schole Records.

L’ensemble de ces artistes est à découvrir dans les créneaux du Chantier, et plus généralement, sur notre webradio Nuit tu me fais peur.

Laurent Thore