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Depuis quelques mois, en France, les sciences sociales sont le théâtre de violentes polémiques, questionnant la pertinence de certains critères d’analyse (notion de genre, de race, de racialisation…), les croisant avec d’autres plus anciens (la classe sociale, par exemple) dans une méthode que l’on nomme l’intersectionnalité.

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Les sociologues Eléonore Lépinard et Sarah Mazouz signent aux Éditions Anamosa, un véritable manifeste : Pour l’intersectionnalité.

Ce concept des sciences sociales fait débat.
Et quoi de plus normal que de débattre d’un concept !

Toutefois, depuis plusieurs mois en France, il règne une grande confusion autour de cette notion ! De l’université à l’arène politique, pas de mots assez forts pour pointer sa supposée dangerosité : « une peste, un discours essentialisant, multiculturaliste et porteur de haine contre les personnes blanches ».

Dans ce manifeste, les autrices s’emploient à montrer et démontrer toute la validité de cette approche dans les sciences sociales, y dynamitent les préjugés, les approximations, voire les attaques parfois « délirantes ».
« Disqualifier a priori, en tout temps et tout lieu, l’usage conceptuel de cette catégorie, c’est s’engager à ne jamais la découvrir dans le social… » s’insurgent-elles.

Forgée aux États-Unis, en 1989, par la juriste Kimberlé Crenshaw, le concept d’intersectionnalité avait pour objet d’interroger les différents rapports de domination qui agissent dans la société. Crenshaw indique, par exemple, que « les femmes noires sont parfois exclues de la théorie féministe et du discours antiraciste parce que l’une comme l’autre sont élaborés à partir d’un ensemble d’expériences qui ne reflète pas de façon adéquate les interactions qui existent entre la race et le genre ».

L’approche intersectionnelle rend, donc, visible des populations qui se trouvent au croisement de plusieurs facteurs de domination, de plusieurs formes de discriminations.

Elle vient bousculer les anciennes catégorisations, la seule classe sociale, elle en propose de nouvelles (le genre, la race), et « avant d’asséner l’insignifiance de la race dans la société française, peut-être faudrait-il se donner les moyens de la mesurer », s’interrogent les autrices.

Cette méthode oblige à se poser sans cesse « l’autre question », à adopter d’autres points de vue sans chercher une position hégémonique. Elle combat « les épistémologies de l’ignorance [qui] se fondent sur l’occultation et la disqualification d’analyses et de conceptualisations recelant une dimension insurgée ou indisciplinée, porteuse de menaces pour l’ordre établi et les positions de pouvoir acquises ». Contre-hégémonique, « le concept d’intersectionnalité est, avant tout, une méthode et non un dogme », comme le souligne Sarah Mazouz.

Enfin, l’intersectionnalité appelle de ses vœux l’émergence d’un « universalisme concret, incarné dans les différences et les histoires spécifiques de celles et de ceux qui forment le corps politique ».

Dans Pour l’intersectionnalité, texte exigeant, Eléonore Lépinard et Sarah Mazouz donnent les clés du débat actuel autour d’un concept malmené, et montrent tout l’intérêt de cette approche dynamique dans le champ des sciences sociales.

Sarah Mazouz est aussi l’autrice de Race aux Éditions Anamosa.

Pour poursuivre la réflexion :
Prendre au sérieux les recherches sur les rapports sociaux de race

Sur la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles à Clichy (évoquée dans l’entretien) :
« Ce sont des milliardaires, nous on est des pauvres, et on va leur tenir tête » : la colère monte dans l’hôtellerie
Femmes de chambre en grève à l’hôtel Ibis : « La sous-traitance, c’est la maltraitance »

Travaux cités dans l’entretien :
Comprendre les rapports sociaux – Danièle Kergoat

Hugues Chevarin