Féminisme néolibéral : un « équilibre bancal » !

Social

Que vient donc prôner le néolibéralisme dans sa “volonté” de pousser une élite féminine sur la scène économique et financière ? Briser, enfin, le fameux plafond de verre ? Ces quelques élues ne sont-elles qu’un alibi ? Quel danger fait-il courir au féminisme et aux valeurs d’émancipation qu’il porte ?

MEDIA

La présidente de la Banque Centrale Européenne Christine Lagarde Paris, France, 23 June 2023. EPA/Lewis Joly / POOL MAXPPP OUT

Le féminisme n’est plus aujourd’hui une menace pour le capitalisme, c’est ce qui le rend si populaire, si visible dans les médias comme dans les discours politiques.

Sandrine Holin, après des études en sciences politiques et en sciences humaines, a exercé dans le secteur des affaires publiques et de la finance avant d’entamer le projet de recherche nourrissant l’essai publié aux éditions La découverte, Chères collaboratrices. Comment échapper au féminisme néolibéral.

“[…] le néolibéralisme n’est pas seulement une doctrine économique ou une doctrine d’économie politique, c’est une doctrine globale, une rationalité, un ordre normatif qui travaille sur et au niveau de l’individu. Le néolibéralisme fait de l’individu un entrepreneur de lui-même…, comme l’a défini Michel Foucault.

Il poursuivait en précisant que ”la valeur cardinale du néolibéralisme était la concurrence.”

Sandrine Holin s’attache à montrer, à démontrer comment cette doctrine globale, cette rationalité néolibérale s’est emparée du discours féministe, et en particulier des valeurs d’émancipation qu’il porte, à des fins de seul profit.

L’objectif n’est-il pas de créer les conditions d’une plus grande concurrence entre les hommes et les femmes, et mais aussi entre les femmes elles-mêmes ?

Pour ce faire, il faut donc au néolibéralisme et à un certain féminisme une cible commune : “[…] selon la philosophe étatsunienne Nancy Fraser, le néolibéralisme et le féminisme de la deuxième vague avaient en effet une cible commune à leurs critiques : l’Etat. L’Etat capitaliste patriarcal pour les féministes, et le capitalisme d’Etat, (c’est-à-dire) l’Etat étouffant les capitaux et l’économie, pour les néolibéraux.” 

Que le capitalisme est fait le constat d’un manque à gagner en raison d’une plus faible participation des femmes à la sphère économique et au monde du travail, ne résout pas pour autant le paradoxe d’un système qui veut exploiter toujours plus de force de travail au risque même de sa reproduction.

Voilà bien un paradoxe auquel les quelques élues -telles Sheryl Sandberg, ex-numéro 2 de FaceBook, ou encore Christine Lagarde, actuelle Présidente de la Banque centrale européenne, mais aussi les nouvelles figures du féminisme néolibéral français du parti présidentiel- ne sont pas confrontées.

D’après Catherine Rottenberg, dans The Rise of Neoliberal Feminism, “un nouveau courant du féminisme qui semble redéfinir l’objectif du féminisme.  Le féminisme néolibéral  se focalise en effet sur la manière de concilier vie de famille et vie professionnelle. Il s’éloigne ainsi des objectifs plus globaux comme mettre fin à l’oppression de genre ou parvenir à plus d’égalité entre tous et toutes.

Le nouvel idéal féminin se considère comme émancipé parce qu’il poursuit une carrière et élève des enfants. Le nouvel idéal féminin n’est ni nullipare, ni célibataire, ni femme au foyer. Elle a tout en même temps, elle concilie l’inconciliable et c’est en ça qu’elle est une superwoman, une wonderwoman, une héroïne du quotidien !

Dans cet essai, Sandrine Holin nous alerte sur l’utilisation marketing du discours féministe, aux prises avec la rationnalité néolibérale. Ce “nouveau féminisme” fait l’éloge de “l’empowerment” des femmes, faisant miroiter “l’égalité” (aux limites toujours reculées). Le “féminisme néolibéral” n’est-il  pas le plus sûr moyen de rendre le féminisme inoffensif, lui ôter son caractère révolutionnaire ? 

Terrain Social explore, avec Sandrine Holin, la face cachée du “féminisme néolibéral” et l’équilibre “bancal” sur lequel il repose.

Enfin, n’est-il pas temps de “redevenir menaçantes, ensemble” ?

Hugues Chevarin

Références dans l’entretien : 

Une déferlante de femmes à la tête des grands musées du monde, Courrier International reprenant The New York Times, Increasingly, Women Are Running the World’s Great Museums.

Laura Poitras : “Nan Goldin est une dissidente qui a mis le monde de l’art sens dessus dessous” – Courrier International 
Michel Foucault, Naissance du biopolitique. Cours au Collège de France 1978 – 1979, Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard/Seuil, 2004

Barbara Stiegler,«Il faut s’adapter». Sur un nouvel impératif politique, Collection NRF Essais, Gallimard

Walter Lippmann (1889-1974), Public Opinion, 1922 (non traduit en français)

Un article de Michaël Oustinoff, Les avatars du stéréotype depuis Walter Lippmann, in Hermès, La Revue 2019/1 (n° 83), pages 48 à 53

Edward L. Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Éditions La découverte

Nancy Fraser, Le féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère néolibérale. Editions La découverte.

Illustrations sonores : 
Why we have too few women leaders | Sheryl Sandberg – Conférence TED (en anglais sous-titré)

FMI : une consécration pour Christine Lagarde – Euronews (en français)