Social
Qui sait encore qu’à un moment de notre histoire, les ouvriers et leurs représentants ont autogéré la Sécurité sociale, le fameux régime général de 1946, ont eu la main sur les cotisations, mais aussi les choix faits dans les dépenses de santé ? Et que dès lors, l’État social, produit de la guerre totale, n’aura de cesse de se réapproprier ce “régime général”.
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©Luc Nobout / IP3; Paris, France le 04 octobre 2022 – Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, présente le Rapport sur l application des lois de financement de la Sécurité Sociale 2022
Nicolas Da Silva est maître de conférences en sciences économiques à l’université Sorbonne Paris Nord. Il publie à La fabrique Éditions, La bataille de la Sécu, Une histoire du système de santé.
De la Révolution de 1789 à l’adoption du budget de la Sécurité sociale, la question de l’intervention de l’État, dans le système de production de soins de santé, va se poser.
Toutefois, “l’État qui sort de la Révolution ne souhaite pas s’immiscer dans la question sociale autrement que par la répression”. “Le XIXème siècle est marqué par l’émergence d’une solution auto-organisée par le mouvement social : les sociétés de secours mutuel.”.
Dans ce siècle des révolutions -1830, 1848, La Commune de 1870, l’État combat cette menace contre le capital et l’État lui-même.
Avec le XXème, les conflits mondiaux, la Grande Guerre et la Seconde Guerre mondiale, vont rebattre les cartes : les sacrifices consentis par la population tant civile que militaire, la guerre totale, vont engendrer l’État social !“
Deux logiques antagoniques s’affrontent en 1946 qui éclairent les évolutions du système de santé en France jusqu’à aujourd’hui : à la « Sociale », fondée sur l’autogouvernement du système de santé par les intéressés eux-mêmes, s’oppose « l’État social », né de la « guerre totale », qui fait de la protection sociale un instrument de contrôle de la population.”“
Pour comprendre le lien entre guerre totale et l’État social, il est nécessaire de déplacer le regard que l’on porte habituellement sur les périodes de guerre. Ce ne sont pas des parenthèses entre deux cycles de paix, ce sont des périodes fondatrices d’un nouvel ordre trouvant ses racines dans la préparation, la conduite et les conséquences de la guerre. […] L’Etat ne devient social que parce qu’il a organisé la guerre totale.”
De même, “La Seconde Guerre mondiale relève de la guerre totale, mais l’originalité du cas français réside dans la résistance d’une partie de la population à l’État collaborateur -un terreau essentiel pour la réémergence de la Sociale.”
En 1946, est créé le régime général de la Sécurité sociale, géré par les travailleurs eux-mêmes et leurs représentants. Dès ce moment, l’État social va tout mettre en œuvre pour se réapproprier le régime général, et prendre le contrôle des dépenses de santé. Parallèlement, le capital, jusqu’alors peu présent dans le domaine du soin, va développer une offre toujours plus importante.
QUAND L’ACTUALITÉ REJOINT L’HISTOIRE
Dans cette bataille de la Sécu, Nicolas Da Silva brosse un tableau très complet, chiffres à l’appui, des différentes étapes qui ont conduit l’État, et en particulier l’État social, dans sa volonté de contrôle et de maintien de l’ordre social, en s’emparant des dépenses de santé et du système de production de soin, la gestion “administrative” de l’hôpital, par exemple. Cette mainmise étatique se fait au détriment de l’offre publique de soins et de la protection des travailleurs.
Le 30 novembre dernier, la Première ministre, Elisabeth Borne, recourt une 7ème fois à l’article 49.3 pour adopter définitivement le texte portant sur le budget de la Sécurité sociale pour l’année 2023. Que dit cette volonté acharnée du gouvernement à ce que soit adopté le dit budget ? L’adoption forcée de ce budget, outil de contrôle de l’Etat social, est un écho qui résonne comme une énième défaite pour le mouvement social.
Mais comme le formule Bernard Friot, dans sa préface de l’ouvrage, “ […] nos imaginaires et nos émotions sont aliénés. Aliénés par l’adhésion à l’État social !”.
Il nous faut donc déplacer le regard : voir dans les luttes en cours des crises récentes -hospitalière, sanitaire-, crise sociale généralisée, une possible réémergence de “la Sociale”.
Avec l’économiste Nicolas Da Silva,Terrain Social plonge au cœur d’une bataille toujours actuelle, celle de la Sécurité sociale !
Hugues Chevarin
Pour aller plus loin :
Ouvrage recommandé par notre invité : Le mythe du “trou de la Sécu”, Julien Duval, Editions Raisons d’Agir.
Bernard Friot, qui a formidablement préfacé l’ouvrage de Nicolas Da Silva, était l’invité de Terrain Social, en septembre 2020 : #2 – Un désir de communisme ?