Culture

Produit phare de La Réunion, le rhum se trouve partout : dans les rayons, sur les marchés, en soirée. Mais derrière cet alcool, troisième produit de consommation le plus exporté sur l’île, se cache une réalité moins reluisante : fort taux d’alcoolisme, fiscalité avantageuse des producteurs et passé douloureux.

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Le rhum a toujours occupé une place importante dans les traditions réunionnaises : en apéritif entre amis ou avec de la famille, bien sûr, dans les grands événements, les mariages, baptêmes et même lors d’un décès. Il est possible de boire du rhum sec voire infusé avec des plantes, des fruits ou des épices, qu’on appelle rhum arrangé. Un produit qui séduit de plus en plus les consommateurs.

Un produit largement exporté 

Une omniprésence du rhum qui s’explique. Près de 3 000 planteurs cultivent plus de 22 000 hectares de canne, soit 54 % de la surface agricole de l’île. Le rhum est le troisième produit de consommation le plus exporté. En 2021, il a rapporté 21 millions d’euros.

Mais derrière ce produit érigé au rang de tradition se cache une réalité moins reluisante. 

Le docteur David Mété, addictologue au CHU Félix Guyon et président de la fédération régionale d’addictologie de La Réunion, alerte régulièrement sur les méfaits de l’alcool, dont le rhum est l’un des représentants sur l’île. Ce spécialiste est en guerre contre les producteurs de rhum, qui bénéficient d’une fiscalité allégée, leur permettant de vendre des bouteilles de rhum à bas prix. Ce qui aux yeux du Dr Mété favorise la consommation de cet alcool fort qui peut avoir des conséquences dévastatrices. 

François Hoarau sait de quoi il s’agit. Ancien alcoolique, il a bu pendant vingt ans un litre de rhum par jour. Sorti de l’enfer, il raconte sa rédemption, lui qui accompagne désormais des personnes voulant s’en sortir, au sein de l’association Les maillons de l’espoir.  

Dans la broyeuse de l’industrie sucrière

Si l’on fait un bond dans le passé, l’histoire de la canne à sucre et du rhum est forcément liée à l’esclavagisme. Au début du XVIIIe siècle, c’est d’abord le café qui est cultivé par des esclaves achetés à Madagascar et dans les pays d’Afrique de l’est. 

Au début du XIXe siècle, les colons se tournent vers la production de canne à sucre. L’arak, ancêtre du rhum, est aussi produit, en petite quantité. Ce n’est qu’en 1848 que l’esclavage est officiellement aboli sur l’île. Mais face aux besoins, les producteurs engagent des « hommes libres » venus d’Inde, Afrique de l’est, Madagascar ou Chine. Cependant, leur condition de vie n’est pas meilleure. 

Au début des années 1900, les distilleries se multiplient sur l’île. Le rhum est produit en grande quantité, pour le marché local mais aussi pour l’exportation. Au fil des ans, les progrès techniques limitent les besoins en main d’œuvre. Patrice Pongérard, anthropologue, historien et consultant en ingénierie culturelle explique comment l’industrie du rhum a fauché les anciens travailleurs agricoles, remplacés par les machines. 

Astrid Aracksing et Aurore Gisquet