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Que recèle dans ses entrailles, dans ses vitrines, dans ses galeries, le “musée universel occidental” ? Que représente-t-il au yeux des peuples pillés ? Est-il le symbole le plus “prestigieux” du projet colonial et impérialiste occidental ? Est-il possible de le décoloniser ou faut-il faire musée autrement ?
MEDIA
Lens, le 11 mai 2021. Renouvellement d’œuvres de la Galerie du temps venant du Musée du Quai Branly Jacques-Chirac. Statuette anthropomorphe Côte d’Ivoire. © Séverine Courbe / La Voix du Nord
“L’identité de l’Europe se construisit sur les armes, la conquête, la colonisation et la collecte d’objets. Le musée européen en est le témoin”
Cette institution, le musée européen, dont Françoise Vergès dit, “qu’elle propose une histoire de l’art et une géographie du monde, qui abrite des objets, volés, pillés ou acquis malhonnêtement et des restes humains, privant des peuples et des communautés de deuil et de richesses.”.
Françoise Vergès, politologue, féministe antiraciste, est l’autrice de plusieurs travaux d’importance sur l’esclavage colonial, le féminisme, la réparation et le musée.
On lui doit, à La fabrique éditions, Un féminisme décolonial, en 2019, ainsi qu’Une théorie féministe de la violence, en 2020.
Elle s’attaque en 2023 à une institution, le musée universel occidental, dans Programme de désordre absolu, Décoloniser le musée, toujours à La fabrique éditions.
L’Europe, depuis près de 500 ans, s’est construite sur la conquête du monde, n’épargnant aucune civilisation sur son passage, au premier rang desquelles l’Afrique. Elle a consciencieusement pillé, volé, asservi les peuples qu’elle rencontrait. Elle a mis sur pied le système de la traite négrière, afin d’approvisionner ses colonies d’Amérique, en force de travail et de reproduction. De considérables fortunes se sont bâties sur ce système colonial et esclavagiste (le palais de l’Élysée est un exemple extraordinaire !).
Toutefois, dans le même temps, elle proclamait l’humanisme au XVIe siècle, et la raison au cours du XVIIIe siècle, où “l’on déporta 60% du nombre total des captifs africains”. La Révolution française achevait l’édifice avec la Liberté, l’Égalité et la Fraternité.
“Quand la protection d’objets importe plus que la vie humaine et plus que la dignité et l’égalité, cet universel paraît dérisoire. Parler de décolonisation impossible du musée, c’est inviter à imaginer le post-musée…” – Françoise Vergès
En 1961, Frantz Fanon déclarait : “La décolonisation, qui se propose de changer l’ordre du monde, est, […] un programme de désordre absolu. Mais elle ne peut être le résultat d’une opération magique, d’une secousse naturelle ou d’une entente à l’amiable.”
Dès lors, l’invention du musée universel occidental -Le Louvre-, a porté au pinacle la civilisation européenne : détentrice et protectrice de tous les savoirs ! Françoise Vergès insiste sur le fait que “l’attraction qu’exerce ce modèle sur le reste du monde le rend incontournable”. […] sa décolonisation est impossible si elle ne s’inscrit pas dans un programme qui embrasse la construction d’un monde post-raciste, post-impérialiste et post-patriarcal […].”
Voilà ce à quoi elle nous convie, à concevoir l’inconcevable : nous défaire du musée universel, et par là-même, briser le silence du mensonge sur lequel il repose : “Il n’y a pas d’innocence blanche ; le confort des vies en Europe s’est construit sur l’extraction et l’exploitation du Sud global, ce dont même les classes populaires ont fini par profiter. Dès lors, s’il est indéniable que des Européen.nes ont contribué à penser une conception libérale des droits, la révolution anticapitaliste, des féminismes matérialistes et marxistes, l’antifascisme et une certaine tradition pacifiste, nous ne pouvons adhérer à la conviction que l’Europe ait été le seul continent à avoir défini les meilleurs modes d’émancipation, les vrais droits humains et les droits des femmes, bref qu’elle aurait mieux compris les principes de liberté et d’égalité.”.
Ce “programme de désordre absolu est un programme de répétitions pour la vie, ces pratiques qui font vivre l’idée de liberté à travers la joie, l’amour révolutionnaire et la solidarité sans lesquels on ne peut surmonter les divisions entretenues par le racisme.”
Avec la politologue et militante Françoise Vergès, Terrain Social vous invite à faire musée autrement, et à pratiquer un “exercice décolonial” !
“S’interdire cet exercice,[…], c’est accepter que le monde soit immuable”.
Hugues Chevarin
Poursuivre :
L’ouvrage fourmille d’exemples et de références auxquelles nous vous renvoyons.
Toutefois, il est indispensable de citer :
Frantz Fanon, Les damnés de la terre, à La découverte.
Terrain Social attire, aussi, votre attention sur la récente traduction :
Charles W. Mills, Le contrat racial, Mémoires d’encrier, Avril 2023 (pour l’Europe)
Nous évoquons dans l’entretien l’Atelier, dont une des éditions s’est tenue à :
La Colonie, un lieu de «Savoir-vivre» et de «Faire-savoir», fondé par Kader Attia, Zico Selloum et leur famille.
“La Colonie met au défi les postures amnésiques et délétères. C’est un lieu convivial qui engage, en toute indépendance, les chantiers du vivre et du penser ensemble.”
Cette quatrième édition a vu la parution d’un Manifeste de l’Atelier.
DTP – Decolonize This Place, pour celleux qui pratiquent l’anglais !
Enfin, à l’occasion des 25 ans des éditions La fabrique, venez rencontrer leurs auteur.rices, à la SCOP Librairie des Volcans du 10 au 13 mai, à Clermont-Ferrand.
Terrain Social s’associe à cet anniversaire en vous proposant de réécouter les deux épisodes ci-dessous :
#76 – La police, (dès l’origine) une institution violente ! – Paul Rocher
#73 – La Sécurité sociale : une longue histoire de conflits – Nicolas Da Silva