Social
Comment opère la mémoire de l’esclavage et de la colonisation post-esclavagiste dans les rapports sociaux dans les Antilles françaises ? Que reste-t-il de cette “culture de plantation” ? Quels liens peut-on tisser entre un “passé qui ne passe pas*” et les tensions économiques et sociales qui agitent tant la Martinique que la Guadeloupe ?
MEDIA
©ALAIN MATAU/MAXPPP – FORT DE FRANCE 30/11/2021. Les syndicalistes de Martinique ont rendez-vous à la préfecture avec le Ministre des Outre-mer.
“Pour nous, le choix est fait. Nous sommes de ceux qui refusent d’oublier. Nous sommes de ceux qui refusent l’amnésie même comme méthode. Il ne s’agit ni d’intégrisme, ni de fondamentalisme, encore moins de puéril nombrilisme” – Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire (1950)
Christine Chivallon est géographe et anthropologue. Elle est directrice de recherches au CNRS, Université Bordeaux. Ses travaux sont principalement consacrés aux univers caribéens et aux sociétés à fondement esclavagiste des Amériques où la violence est fondatrice des rapports sociaux. On lui doit notamment en 2019 une étude comparée (inédite) de l’Insurrection de Morant Bay en Jamaïque en 1865 et de l’Insurrection du Sud en 1870 à la Martinique, cette dernière étant passée à la trappe de l’histoire républicaine.
Chaque 10 mai en France (Métropole et Outre-mer compris) a lieu la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions .
Ce “devoir de mémoire” ne doit pas obérer la nécessaire réflexion sur les vestiges de ce système de domination dans les sociétés antillaises contemporaines. Comment ces sociétés vivent dans la permanence de structures héritées de cette “culture de plantation”. Les récentes tensions, liées au déni de justice dans l’affaire du chlordécone, et à la gestion “très métropolitaine » de la pandémie de Covid 19 aux Antilles montrent, s’il en fallait, toute la méfiance, toute la défiance de la population à toute forme de paternalisme -politique, judiciaire ou sanitaire-. Par ailleurs, les descendants des propriétaires de plantation esclavagistes, “les békés” ont-ils la mainmise économique ? Ces sociétés sont-elles simplement passées “Du Code noir au code-barres” ?
“Les moralistes n’y peuvent rien. Il y a une loi de déshumanisation progressive en vertu de quoi désormais, à l’ordre du jour de la bourgeoisie, il n’y , il ne peut y avoir maintenance que la violence, la corruption et la barbarie”. (Citation du Discours sur le Colonialisme d’Aimé Césaire – 1950)
Dès lors, les questions mémorielles ne font qu’un avec les revendications sociales et politiques pour que s’amorce une véritable “décolonisation” aux Antilles !
Terrain Social contribue, avec Christine Chivallon, à interroger “un passé qui ne passe pas*” !
Hugues Chevarin
Pour aller plus loin :
* Rendre à César … : Vichy, un passé qui ne passe pas, Henry Rousso et Eric Conan, Gallimard.
Christine Chivallon, L’esclavage, du souvenir à la mémoire. Contribution à une anthropologie de la Caraïbe, Paris, Karthala, 2012.
Discours sur le colonialisme (extrait) d’Aimé Césaire , dit par Antoine Vitez le 17 juillet 1989 (Avignon)
Le Discours dans son intégralité
Sur la dissidence à l’Etat français dirigé par le maréchal Pétain
La dissidence dans les Antilles françaises : une mémoire à préserver
Références citées dans l’entretien :
Rapport Achille Mbembé : Les nouvelles relations Afrique France : relever les défis de demain, octobre 2021
Rapport Felwine Sarr – Bénédicte Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain – Vers une nouvelle éthique relationnelle
Le Code noir de 1685 (le document)
et une analyse historique : L’esclave dans le code noir de 1685 par Jean-François Niort, Université des Antilles, Pôle Guadeloupe
Autre référence : un article du journal Le Monde : Deux statues de Victor Schoelcher brisées par des manifestants en Martinique.