Les doutes de l’adulte, l’innocence de l’enfant

Actus

Le groupe River Into Lake fait indéniablement partie des orfèvres de la pop européenne, de ceux qui la transposent dans des espaces parallèles, à travers une musique spacieuse, hybride et émotionnelle. Preuve supplémentaire depuis quelques jours avec l’arrivée d’un nouvel EP « The Crossing » où le belge Boris Gronemberger, l’âme créative de River Into Lake, dévoile 4 titres magistraux agités par un vent de sentiments contrastés. Dans une période aussi complexe que nous connaissons, il montre que l’art est décidément une manière salvatrice et libératrice de regarder les tourments de l’existence, en dehors de toutes les injonctions autoritaires et culpabilisantes de nos sociétés contemporaines.

boris gronemberger river into lake the crossing EP

© Alice Khol

Il y a quelques mois, nous avions été subjugués par une session autour du morceau « Grand Prairie », extrait de The Crossing. Force est de constater que chacun des titres de ce format court sorti il y a quelques jours se hisse à un niveau d’expressivité impressionnant de sincérité et de musicalité.

L’ensemble se distingue par sa cohérence thématique, où The Crossing symbolise ce passage étroit et sinueux entre l’enfance et l’âge adulte. Et certains artistes comme River Into Lake sont d’ailleurs peut-être ceux qui préservent si précieusement ces vestiges de l’enfant, cette capacité à transformer le réel, cette innocence à s’émerveiller du monde, cette propension créative irrépressible.

Ainsi, sur ce nouvel EP, Grand Prairie est peut-être le titre qui incarne le plus le besoin d’évasion qui reste ancré au fond de chacun d’entre nous, non sans tumultes, à l’image de sa conclusion épique et explosive. La tension inaugurale et glaçante du titre éponyme qui clôture ce disque, laisse place à un climat plus apaisé, où la voix de Boris Gronemberger affiche une sérénité communicative. Elle s’élève au-dessus des accords appuyés et électriques de guitares, cédant progressivement leur place aux envolées lumineuses et harmoniques de claviers.

Difficile de ne pas souligner les créations graphiques de l’artiste belge David Delruelle, qui décuplent avec un certain sens surréaliste l’imaginaire développé musicalement par Boris Gronemberger. À contre-courant du désenchantement actuel, River Into Lake nous confie ainsi une œuvre pleinement aboutie, généreuse et humaine, porteuse d’un fin message d’espoir tout en poésie, en mélancolie et en décalage, sans pathos ni autorité directive.

Une belle façon de nous ouvrir de nouvelles perspectives dans nos propres réflexions du moment.

L’EP The Crossing de River Into Lake est disponible depuis le 4 décembre 2020 via Humpty Dumpty Records.

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Laurent Thore

Un, deux, trois… prolongation

Actus

Juniore, groupe à part de la nouvelle scène française, prolonge les plaisirs de son deuxième album sorti en début d’année, le bien nommé « Un, deux, trois ». Depuis quelques heures, deux nouveaux titres inédits se disputent la vedette. Le romantisme exacerbé et épique de « Tes cheveux » répond au rock fiévreux et rythmé de « Un jour ou l’autre », le tout avec un sens esthétique combinant avec brio insouciance et élégance.

juniore un deux trois tes cheveux un jour ou l'autre

Peu de groupes français ont digéré avec autant de finesse et d’esprit l’héritage des sixties, des yéyés, tout en conservant une vision très anglo-saxonne de la pop. D’ailleurs, nous pourrions rapprocher Anna Jean, leadeuse du trio, de deux grandes musiciennes françaises indépendantes, Lætitia Sadier et Fabienne Delsol, dont les chemins artistiques sont avant tout passés par Londres, avec pour effet de complètement s’émanciper du poids de la variété française.

Par effet de miroir, il n’est pas étonnant de voir que Juniore connaisse un vrai succès en Angleterre. À tel point qu’un vinyle collector sortira de l’autre côté de la Manche, à la mi-janvier, autour du titre Wahili, interlude instrumental psyché et exotique, quelque part entre Broadcast et Pram.

Alors que certains observateurs s’arrêtent avant tout sur le positionnement esthétique très marqué de Juniore, ils en oublient tout le soin apporté à un travail sonore d’arrangements extrêmement fin, certainement influencé par les visions de musiciens arrangeurs comme Lee Hazlewood et Jean-Claude Vannier. La complicité artistique et musicale qui unit la batteuse Swanny Elzingre, le producteur Samy Osta et Anna Jean a d’ailleurs donné à Un, deux, trois une classe étonnante et une cohérence décisive.

Dans une année si particulière, Tes cheveux et Un jour ou l’autre sifflent une vraie prolongation pour Un, deux, trois en s’intégrant parfaitement dans son univers millésimé.

L’album Un, deux, trois de Juniore version bonus, est en écoute depuis le 11 décembre 2020, toujours sur le label Outré Disque.

Juniore se produira dès avril prochain pour une grande tournée européenne passant par Glasgow, Londres, Berlin…

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Laurent Thore

Des perturbations atmosphériques dans le ciel du jazz

Actus

D’une certaine manière, les musiciens de STUFF. symbolisent la génération de jeunes artistes européens renouvelant actuellement avec beaucoup d’envie et de créativité l’imaginaire et l’esprit du jazz. Aux côtés de figures comme Matthew Halsall, GoGo Penguin, The Comet Is Coming, The Heliocentrics, Sons of Kemet… ils dessinent les contours d’une musique libérée des frontières habituelles de styles, aux confluents du jazz bien sûr, mais aussi de l’electronica, du hip-hop, du funk, du math rock, de l’ambient… Nouvelle preuve avec l’expressivité baroque et enlevée de leur dernier titre en date, « Cumulus », sublimé dans un clip abstrait et intriguant, soulignant à merveille le pouvoir évocateur d’une complicité musicale détonante.

stuff quintet jazz cumulus t(h)reats

© Alexander Popelier

De par sa situation culturelle et géographique, la Belgique est depuis longtemps un carrefour prolifique et dynamique de diversité musicale, avec cette manière si particulière d’assimiler et de digérer de multiples influences extérieures. En matière de jazz, la scène belge regorge, à l’image du rock alternatif, de groupes aventureux et innovants. Nous pourrions citer : Black Flower dans une veine éthio-jazz au groove délicieux, TaxiWars et son cabaret jazz hip-hop bigarré, De Beren Gieren et ses envolées instrumentales, élégantes et oniriques (en route d’ailleurs vers un album très attendu pour 2021, Less Is Endless, sur le même label que STUFF.).

À Anvers, s’écrit depuis 7 ans maintenant l’histoire de STUFF.. Le quintet s’est structuré autour des sensibilités musicales complémentaires et gourmandes de Lander Gyselinck à la batterie, de Dries Laheye à la basse, de Mixmonster Menno aux platines, d’Andrew Claes et son instrument à vent électronique (EWI) et de Joris Caluwaerts aux claviers. Sa musique se distingue ainsi par une richesse de timbres et de textures sonores, combinant à merveille et avec beaucoup de feeling une approche très organique du jeu en groupe, avec une maîtrise très avancée des possibles de la technologie. En quelques albums dont le très remarqué Old Dreams, New Planets, STUFF. est devenu un véritable phénomène, capable de rendre dingue de fins mélomanes comme Gilles Peterson ou Phil Taggart tout en permettant à leurs compositions exigeantes, ambitieuses et rappelons-le, purement instrumentales, d’avoir un vrai succès public, tout du moins en Belgique.

À travers Cumulus, STUFF. s’ouvre les voies de nouveaux espaces de jeux, en développant une sorte de funk mutant et percussif, descendant illégitime du groove post-punk du gang féminin ESG et de la disco cérébrale d’Arthur Russell. Les Belges invoquent dans ce morceau emballant et sans se renier, le dynamisme compulsif de Squarepusher, le côté cosmique de Flying Lotus, les déviations climatiques de PVT et même l’inventivité sonore de Tortoise. Une façon peut-être de voir chez eux l’influence décisive du label Warp Records (mais certainement pas exclusive), sur lequel sont signés tous ces artistes.

Influence qui dépasse peut-être d’ailleurs le simple cadre de la musique à l’image de leur nouveau clip tant le label anglais a aussi imposé depuis la fin des années 80, dans la sphère des musiques indépendantes, une ligne graphique propre et un univers emblématique, sous l’impulsion de l’entité The Designers Republic et de son fondateur, Ian Anderson. Pour présenter un premier extrait de leur futur album, le groupe STUFF. a choisi de travailler avec l’artiste multimédia Frederik Jassogne. Pour cette vidéo, il a opté pour une mise en mouvement des éléments picturaux du tableau Composition de Guy Vandenbranden, exposé au musée des Beaux-Arts d’Anvers, pour un résultat faussement simple. Cette déclinaison colle complètement à l’esthétique abstraite et foisonnante du morceau Cumulus. Voilà une mise en bouche parfaite, pour attendre la sortie de leur 3ème long format d’ici la fin de l’hiver, sous le titre à tiroir de T(h)reats.

L’album T(h)reats paraîtra le 12 mars 2021 sur le SDBAN Records.

Si vous voulez vous imprégner de l’ouverture musicale des membres de STUFF., ceux-ci ont mis en ligne depuis quelques jours une playlist étonnante de 50 titres représentant le champ immense de leurs inspirations multiples et sans tabou.

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https://twitter.com/36STUFF
https://www.instagram.com/stuffperiod/

Laurent Thore

Le confinement : la ville contrainte(s)

Social

Les confinements, événements sans précédent, ont eu pour conséquence de multiples interdictions, délimitations et autres restrictions.

MEDIA
Un nouvel épisode du podcast Terrain Social, Le confinement : la ville contrainte(s)

Terrain Social s’interroge aujourd’hui sur l’impact de ces confinements sur notre rapport à la ville et à la pratique de ses espaces avec Corinne Luxembourg, géographe et enseignante à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette.

Depuis 2013, elle porte un projet de recherche pluridisciplinaire sur une approche genrée de l’espace public à Gennevilliers. Ces travaux ont donné lieu à la publication en 2017 d’un ouvrage collectif, La ville : quel genre ? L’espace public à l’épreuve du genre (éditions Le Temps des Cerises).

Corinne Luxembourg est également co-autrice d’un ouvrage collectif paru en avril 2020, Les sens de la ville, pour un urbanisme de la vie quotidienne (éditions Le Temps des Cerises).

Hugues Chevarin

Hong Kong : “le mouvement pro-démocratie va repartir”

Social

Les peines de prison se multiplient ces dernières semaines pour les militants pro-démocratie à Hong Kong. Mais pour notre invité, le mouvement de contestation contre la mainmise de Pékin n’est pas mort pour autant.

MEDIA
Hong Kong - le mouvement pro-démocratie va repartir

Jimmy Lai, menottes aux poignets, arrive au centre de détention de Lai Chi Kok après s’être vu refuser une libération sous caution à Hong Kong, le 3 décembre 2020.
© Jérôme Favre / EPA / Newscom / MaxPPP

À Hong Kong, les peines de prison se multiplient ces dernières semaines pour les militants pro-démocratie. Dernier exemple en date, le placement en détention provisoire, jeudi dernier, de Jimmy Lai, patron d’un média d’opposition. Accusé de fraude par le pouvoir, il subit le même sort que plusieurs défenseurs de la démocratie, dont Joshua Wong, Agnes Chow et Ivan Lam.

Comment analyser ce coup de force du pouvoir ces derniers jours, et que signifie-t-il pour l’avenir du mouvement de contestation ?

Ecoutez les réponses d’Eric Sautedé, analyste politique, spécialiste de Hong Kong, où il est installé.

Propos recueillis par Benoît Bouscarel

Sur Brut, le président veut renouer avec la jeunesse

Social

Ce vendredi 4 décembre, Emmanuel Macron doit accorder une interview à Brut, pour tenter de toucher une partie de la jeunesse.

MEDIA
Emmanuel Macron veut renouer avec la jeunesse avec une interview accordée à Brut

Les élèves des lycées Saint Cricq et Louis Barthou en colère, dénonçant les mesures sanitaires.
Pau, le 5 novembre 2020.
© David Le Deodic / PhotoPQR / Sud Ouest / MaxPPP

Il interviendra notamment sur la crise économique et sanitaire, les discriminations, les violences policières, l’environnement… Autant de thématiques sur lesquelles on constate des clivages très forts, au sein d’une jeunesse plus fracturée que jamais.

Pour Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP dans un entretien accordé au Chantier, le risque de décevoir est grand pour Emmanuel Macron

Propos recueillis par Benoît Bouscarel

Vendredi noir, vendredi vert

Environnement

La critique du Black Friday n’est pas réservée à de dangereux anarchistes qui s’habilleraient en peau de bête mal tannée…

Les alternatives au Black Friday

Plusieurs membres de la compagnie « Cactus Teatro » participent à une performance organisée par l’ONG écologiste « Ayuda en Acción » dans le cadre de la campagne « Do We Consume Happiness? » dans un quartier commerçant du centre-ville de Madrid, le 24 novembre 2017.
© ZIPI / EFE / MaxPPP

Parmi les initiatives qui viennent souligner toute l’absurdité, et surtout toute la dangerosité, de la consommation de masse, on trouve aussi… des commerçants (qui voient leur métier autrement) : WeDressFair par exemple (traduction : « on s’habille équitable »), une plateforme d’achat de vêtements en ligne qui propose une sélection de marques éthiques et responsables. WeDressFair a fermé son site internet lors d’un récent Black Friday, pour défendre la consommation raisonnée contre l’achat compulsif… L’emploi rationnel des ressources naturelles plutôt que la surproduction…

En signe de protestation identique, l’enseigne Faguo réunit 720 marques françaises dans un collectif Make Friday Green Again (salut Donald) en soulignant que chaque année, 500 millions de vêtements sont jetés en France, et que l’on pourrait donc largement : récupérer plus, recycler, réparer, raccommoder…

Autre mouvement, plus connu : le Green Friday (vendredi vert) est présent dans toute l’Europe. Il s’agit de chercher à encourager le grand public à adopter une consommation moins excessive, de façon durable et surtout responsable. Green Friday propose également de reverser 10% des bénéfices effectués pendant la période faste qui précède les fêtes à des associations qui luttent pour l’environnement.

Citons également Black For Good, constitué de 80 marques qui ont reversé en 2019 les bénéfices à des associations et qui fort de ce succès, entendent tripler les bénéfices pour cette année… L’ambition de ce mouvement est de créer un équilibre où tout le monde peut-être gagnant : les consommateurs, les fabricants, les commerçants et l’environnement.

Comme le souligne Greenpeace, sans doute vaudrait-il mieux opter pour le changement de nos us et coutumes en matière de consommation… ce qui passe par le boycott des achats non indispensables pour redécouvrir les vertus du consommer mieux.

Pour riposter contre le Black Friday, symbole d’une consommation démesurée, des associations et des entreprises se mobilisent pour sensibiliser les consommateurs aux dérives du consumérisme et faire grandir une consommation plus responsable.

Ce qui est très bien… mais il faudrait peut-être voir au passage, à cesser la surconsommation irraisonnée de termes anglais…

Pascal Rué

Choisir le bon masque

Actus

Le premier se nomme Enguerran, il est le batteur. Il est celui par qui la vie jaillit du sol et se transforme en pulsations irrésistibles. Le second se nomme Lancelot, il est le guitariste. Il est celui par qui la foudre pénètre les vibrations des cordes, et se transforme en électricité sauvage et jubilatoire. Ils forment le duo Bafang. Fiers de leur premier album fraîchement sorti dans les bacs, les deux rockeurs activent toute la puissance de leur rock incandescent dans le clip d’Ibabemba, vidéo inventive, foisonnante de couleurs, de culture et d’esprit.

Ibabemba nouveau clip de Bafang

Le titre de leur LP, Elektrik Makossa, est un clin d’œil évident à la figure tutélaire de Manu Dibango, véritable emblème et fierté du Cameroun, le pays de leurs grands-parents. Leur illustre aîné débarque très jeune à Marseille en 1949, il se fraye ensuite un chemin dans les clubs de jazz de la capitale en compagnie d’un autre des acteurs de la diaspora artistique camerounaise en France, Francis Bebey. Curieux de nature, et avant tout amoureux de la musique avec un grand M, il s’ouvre au mambo et à la biguine antillaise, se frotte au rock naissant avec Dick Rivers, et même au rhythm ‘n’ blues afro-américain en devenant le chef d’orchestre de Nino Ferrer.

Bien des années plus tard, sur les côtes normandes, depuis Caen, à sa manière, la musique de Bafang est devenue également un joyeux creuset culturel et cosmopolite, façonné par les rencontres et les expériences musicales. Elle reste foncièrement rock dans l’âme, si tant est que le rock ‘n’ roll reste avant tout un état d’esprit plutôt qu’une posture. Sur Ibabemba, dans le son comme dans l’image, le rock ‘n’ roll s’embrase ainsi comme la guitare de Jimi Hendrix. Il rentre en fusion comme les éruptions volcaniques de Rage Against the Machine. Mais il reste libre et se moque des frontières : fier de son métissage vibrant, il est joyeux et volontaire. Il revendique aussi bien ses propres racines à l’image de celui de l’immense musicienne haïtienne Moonlight Benjamin, que l’héritage de Led Zeppelin, de Muddy Waters et de Sister Rosetta Tharpe. Il n’oublie jamais que la danse est au cœur de la vie, et qu’il doit toujours s’adresser aussi bien au corps qu’au cœur de l’humanité.

Si le rock américain est la musique du diable, elle devient ici la musique du Njounjou, cet esprit du mal et de la méchanceté qui pénètre l’esprit des hommes quand ils recouvrent leurs visages en choisissant le mauvais masque.

Pour résumer, nous pourrions entendre et percevoir à travers Ibabemba, une délicieuse métaphore philosophique, ensoleillée et colorée de la vie en général, cette mise en scène de la lutte interne et éternelle de la condition humaine, incitant chacun à lutter contre ses propres démons, assumer ses propres choix, pour trouver le chemin de la liberté et de l’émancipation.

https://www.facebook.com/BAFANGOFFICIEL/
https://www.instagram.com/bafangband/
https://bafang.bandcamp.com/album/elektrik-makossa


L’album Elektrik Makossa est disponible depuis le 27 novembre 2020 sur le label Soulbeats Records.

Laurent Thore

Le cerveau reptilien de Magon

Actus

En route vers son deuxième album ! Le musicien indé Magon met en scène un personnage moitié homme moitié lézard dans un étonnant clip surréaliste, soulignant à merveille les soubresauts mélodiques et la poésie kafkaïenne de son nouveau tube héroïque, « Aerodynamic », fortement marqué par l’empreinte des Pixies. Avec beaucoup de maîtrise et d’envie, il démontre aisément qu’il faudra compter avec lui en 2021 en matière de rock indé.

Magon Aerodynamic

Selon le psychologue du développement, l’américain Howard Gardner, il existe plusieurs formes d’intelligence, souvent niées par l’école d’ailleurs. Le punk l’avait bien compris en permettant la revanche des cancres et des derniers de la classe. Dans le cas de Magon, s’impose une intelligence mélodique hors du commun, de celle des élèves brillants de la classe « songwritter », la même qui habite Frank Black, Jason Lytle et autres H-Burns.

Sous des airs simples et évidents, un titre comme Aerodynamic active tous les voyants, qu’il se nomme grunge, noisy pop, garage rock, folk alternatif, dans ce jeu extrêmement fin entre angélisme pop et libération électrique bruitiste. Nous constations également il y a quelques semaines, les éléments de l’évolution de cette grande promesse indie, en évoquant des figures comme Jeffrey Lewis et Adam Green. Magon partage avec eux, ce sens créatif, cette capacité à mobiliser le moindre interstice, la moindre émotion, cette vie intérieure pour en faire une chanson redoutable et imparable. La poésie faussement absurde et décalée de ses paroles (peut-être influencée par les préceptes de la beat generation ?) se confond totalement dans la mécanique narrative à tiroir totalement décomplexée de ce clip artisanal, réalisé par Magon lui-même.

« Your head is special
Aerodynamic
You split the ocean
Onto a sanctuary
Your favorite honey
So transcendental
In ceremony
You leave me lonely »


« Ta tête est spéciale
Aérodynamique
Tu ouvres l’océan
Sur un sanctuaire
Ton miel préféré
Tellement transcendantale
Pendant la cérémonie
Tu me laisses seul »

L’album Hour After Hour de Magon sortira le 29 janvier 2021 sur le label December Square et distribué par Differ-Ant.

https://www.facebook.com/magonmusic/

Laurent Thore

Être soi plutôt qu’une autre

Actus

La quête identitaire qui semble être le fil conducteur de Klô Pelgag depuis ses premiers pas discographiques en 2012, et plus encore depuis son premier album fondateur, l’Alchimie des Monstres, en 2013, atteint aujourd’hui une forme de paroxysme créatif, avec la ferveur expressive et l’activité chorégraphique du clip de « Mélamine », morceau phare et emblématique de son splendide 3ème album, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Au-delà d’être un phénomène de liberté et de passion, la musicienne québécoise déroule un étonnant chemin entre sa culture francophone et un appétit musical largement influencé par la musique anglo-saxonne.

Klô Pelgag Mélamine Notre-Dame-des-Sept-Douleurs

Comme beaucoup d’artistes québécois, Klô Pelgag est certainement perçue en France comme un exotisme, une sorte d’extraterrestre, dont nous comprenons la langue mais pas vraiment le sens de sa poésie imagée et sinueuse. Nous approchons peut-être un peu trop d’ailleurs sa musique avec le filtre de l’héritage de la chanson française, avec la loupe grossissante de la machine à normaliser qu’est la variété. Pourtant d’une certaine manière, Klô Pelgag est bien plus proche artistiquement de l’immense Shara Worden (désormais Shara Nova) alias My Brightest Diamond, musicienne américaine à l’imagination débordante, à la musicalité exceptionnelle, que du classicisme élégant et sensible de Juliette Armanet. La proximité géographique et par extension, culturelle, certainement.

Les doutes, les insomnies, les cauchemars, les incertitudes de l’existence ont souvent été les éléments moteur de la musique et de la créativité de la québécoise, et plus que jamais de Mélamine, sorte de dialogue intérieur conflictuel et combatif, parfaitement mis en images dans une étonnante mise en scène surréaliste de la talentueuse réalisatrice Soleil Denault. D’une certaine manière, appuyé par la puissance des symboles de l’image, Mélamine devient un intense cri du cœur face aux injonctions permanentes adressées aux femmes, dans nos sociétés occidentales et capitalistes, à se fondre dans un moule et dans certains stéréotypes.

Si Klô Pelgag assume et active l’ambivalence des ressorts créatifs de son côté enfantin, et même de sale gosse comme elle aime à le rappeler dans certaines interviews, elle est aussi pleinement femme, au-delà des clichés usuels du genre. Elle revendique son droit d’être la femme qu’elle est réellement, à sa manière, mais aussi celle qu’elle peut être selon les moments de sa vie, des plus sombres aux plus heureux. À l’image de ses nombreuses transformations artistiques, elle affiche avec éclat toutes les nuances de sa personnalité mouvante, complexe et sensible, comme a pu le faire avant elle Björk ou Karin Dreijer alias Fever Ray (The Knife), sous la carapace de l’exubérance et de la flamboyance.

Bien sûr, si l’album Notre-Dame-des-Sept-Douleurs nous avait dans un premier temps captivé par son instrumentation, il prend encore plus de valeur, à travers le message émancipateur, sublimé par la vivacité de ce nouveau clip particulièrement parlant et intelligent, loin de tomber dans les affres d’un discours figé et convenu.

L’album Notre-Dame-des-Sept-Douleurs de Klô Pelgag est disponible en physique, en digital et en streaming depuis le 26 juin 2020, via Les Faux Monnayeurs et Secret City Records.

Retrouvez Klô Pelgag sur Facebook, Instagram, Twitter et sur www.klopelgag.com !


Klô Pelgag sera en tournée française au printemps 2021 :

11/03/21 – Cenon (33) – Le Rocher de Palmer
12/03/21 – Arcueil (94) – Théâtre Jean Vilar
13/03/21 – St Berthevin (53) – Le Reflet
15/03/21 – Paris (75) – Festival Avec le Temps – La Maroquinerie
16/03/21 – Nantes (44) – Salle Paul Fort
17/03/21 – Brest (29) – Le Vauban
19/03/21 – Marseille (13) – Festival Avec le Temps
20/03/21 – Montpellier (34) – Le Jam
25/03/21 – Meylan (38) – Maison de la Musique

Laurent Thore