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Les artistes réunies dans la compilation de Black Lilith Records ont pris les devants et n’ont demandé aucune permission pour créer un véritable objet d’affirmation identitaire mais aussi artistique. Si Black Lilith Records se définit comme un label queer, féministe et anti-raciste, il se révèle aussi dans sa mécanique DIY décisive, animé par un évident leitmotiv de créer pour et par soi-même. D’une certaine manière, cet esprit rappelle le chemin émancipateur des musiciennes punk, les fameuses « She-Punks »*, identifiées par Vivien Goldman dans son livre du même nom. Qui plus est, au-delà de l’aspect sociétal, la proposition musicale ouvre suffisamment de nouvelles perspectives et de nouveaux espaces, dans le champ du rap et de la musique électronique, pour toucher un public plus large et bouleverser les codes habituels de l’industrie musicale.
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© Louise Quignon / Hans Lucas
Le côté urgent et libérateur de certains morceaux peut parfois interloquer. À l’inverse, force est de constater que des morceaux comme Boys Klubbb et Amazone ne sont pas là pour plaire ou jouer le jeu de la séduction, mais au contraire, œuvrent pour déplacer les curseurs habituels des représentations admises sur la domination masculine et la sexualité, pour ne donner que deux exemples.
Au regard de la norme qui est celle de l’industrie musicale en France, cette compilation brouille ainsi les pistes, à la fois ancrée dans la veine esthétique « pop urbaine » en vogue et en même temps, désireuse d’ouvrir de nouvelles voies d’expositions pour des artistes souvent réduits au statut de minorité, de faire-valoir ou d’objets. Ainsi, si nous considérons que l’industrie musicale reste encore dominé en grande partie par le pouvoir décisionnel des hommes et animé par un imaginaire très masculin, désigné notamment par le terme anglo-saxon « male gaze » – à l’image des récentes Victoires de la Musique – les musiciens sont sujets à des effets de réseaux, d’autorités et de prescriptions, organisées par la sacro-sainte profession.
À l’inverse, Ava, Roxane, Hélène Bertrand, Barbara Rivage, Oscar… n’ont pas demandé l’autorisation pour exister, réclamer le droit légitime d’être considérées comme des musiciennes à part entière et faire de cette compilation une réalité. La direction artistique assurée par Orane Guéneau, fondatrice du café culturel La Part des Anges à Rennes, lieu où tout a commencé, a donné à cette œuvre plurielle et fédératrice une liberté créative réelle et une absence de complexe, qui donne tant de vie et de nuances à ce disque. Comme pour le mythique groupe anglais de punk féminin, The Slits, la motivation a semble t’il été avant tout celle de faire, au-delà des considérations techniques et d’une maîtrise musicale pleine.
Le collectif de femmes à l’action dans cette compilation est aussi largement nourri par l’esprit du théâtre, dont certaines artistes sont issues. Cette dimension entraîne de façon générale une puissance dans l’utilisation des mots et de la langue. Elle installe également de troublantes mises en scène, comme celle d’Amazone de Roxane, qui propulse d’ailleurs la dynamique ego-trip historique du rap dans une sphère inédite, à travers un monologue frontal et direct très incarné. Ces musiciennes sont ainsi comme dans la vidéo de Walk Straight (clip qui a médiatisé la compilation), quelque part devant nous, elles nous regardent droit dans les yeux, elles osent, elles assument leurs identités, elles sont fières de ce qu’elles sont, de ce qu’elles créent. Créer pour exister, créer pour changer le monde, sans nécessairement en faire l’étendard d’un éventuel militantisme queer et féministe.
Au-delà des débats qui agitent la sphère médiatique actuellement, un mouvement de fond, une révolution est en marche dans la société française et dans l’industrie musicale. La compilation Black Lilith Records est ainsi une parfaite expression de cette évolution irrémédiable des mœurs et des représentations, comme peuvent l’être également le label Warrior Records initié par Rebeka Warrior, le dernier disque de Claustinto ou encore certaines productions mises en avant par le label La Souterraine. Reste un pavé collectif et musical singulier lancé à la gueule de la bien-pensance et du conservatisme, qui pourra déranger, interroger, libérer, inspirer, suggérer, habiter… en suscitant d’intenses émotions.
La compilation de Black Lilith Records est disponible depuis le 18 décembre 2020 en vinyle et en numérique. Vous pouvez retrouver en replay sur le site du Chantier, les différentes émissions de Vent Violent, consacré au label et à sa première sortie discographique. Elle est à découvrir toute cette semaine sur notre antenne.
Un vinyle est à gagner ! Pour participer, rien de plus simple, envoyez un mail à : [email protected]. Bonne chance !
*Les She-Punks, la vraie révolution du Punk
Laurent Thore